« PRIVES DE FEUILLES LES ARBRES NE BRUISSENT PAS » – Texte original de l’auteure néerlandaise Magne van den Berg, texte français : Esther Gouarné ; mise en scène : Pascale Henry ; avec Valérie Bauchau et Marie-Sonha Condé. Théâtre Le Rideau à Bruxelles, du 19 au 23 avril 2023.
Dans cette mise en scène, Pascale Henry nous embarque sur le chemin d’un « texte à la langue compressée, avec de courtes répliques où il faut deviner ce qui se cache et affleure derrière les mots ». Une histoire sur la retraite de deux femmes, victimes de violences conjugales, qui se lient d’amitié alors que leur corps revêt déjà le manteau de l’automne.
Avec ce vent de féminisme qui souffle, on pourrait penser tout de suite à un réquisitoire contre le patriarcat mais il s’agit surtout de relations humaines et du : comment peut-on réagir quand on est mis au banc de la société ?
« Ces petites caravanes, qu’on rencontre fréquemment dans les chemins de traverse, et quelquefois sur la grande route, animent et embellissent encore le délicieux paysage » Jouy, Hermite (t.4, 1813, p.15)
C’est justement devant une de ces petites caravanes, entourée de quelques « brins d’herbe », de deux chaises de jardin usées, du linge qui pend aux côtés de baskets en toiles, que s’installe le public. Une ambiance que dessine les prémisses d’un automne qui s’annonce. Où la lumière du ciel revêt encore la pénombre. Il est tôt. Très tôt. L’aube… Une femme, Dom, s’affaire sans bruit à arracher de ci de là les mauvaises herbes ; à débarrasser de l’humidité et de la poussière les deux chaises, à l’aide d’un chiffon. Sous ses airs de fausse tranquillité, Dom est inquiète, impatiente. Elle s’assoit, et sirote son café sans doute déjà froid. A-t-elle fait trop de bruit ? À peine cette pensée effleure son esprit, la porte de la caravane s’ouvre révélant Gaby emmitouflée dans un édredon. Gaby s’assoit aux côtés de son amie, les cheveux en pétard, le visage hagard, perdu dans une moue inexpressive, silencieuse, passive. L’est-elle vraiment, passive ?
« Déjà debout ? Tu t’es réveillé très tôt aujourd’hui, ce n’est pas dans tes habitudes ». « Veux-tu un café ? »… « Oui » … « Alors fais-en t’un car je n’en ai préparé qu’un seul, ne sachant pas que tu allais te lever si tôt. Ou plutôt, deux, je vais en avaler un autre » … « Il fait froid, tu ne trouves pas » ? … « Non ».
Commencent alors un long dialogue, exprimé presque exclusivement par Dom, qui parle sans s’arrêter et Gaby qui ne répond presque que par des syllabes aussi simples que oui ou non.
Les deux femmes attendent de la visite. « Ils » doivent arriver d’un moment à l’autre, entre 10h00 et 17h00… Une tranche horaire bien trop évasive pour déterminer exactement quand se préparer, être prêtes… Dom presse Gaby de faire vite alors que le jour n’a pas encore tout à fait pointé son nez.
Se pose alors la question de l’habillement. Que porter ? Comment se présenter face à cette visite annoncée ? Une jupe ? Un pantalon ? La même tenue chacune, pour montrer clairement la complicité entre les deux femmes, la connivence ? Le physique… Trop forte ? Trop mince ? L’angoisse de l’apparence stigmatisée par les clichés préoccupe Dom, pour qui « faire bonne impression » est primordial. Alors que, au contraire, l’indifférence semble occuper totalement l’esprit de Gaby. Et puis… une veste oubliée dans un placard va réveiller des souvenirs douloureux.
Les spectateurs vont découvrir peu à peu le lien d’amitié tissé entre ces deux femmes, au carrefour d’une vie déjà bien entamée, aux effluves de violences subies, dont les blessures peinent à cicatriser et qui les ont plongées dans la précarité.
Une histoire émouvante aux accents de solidarité féminine et d’espoir à travers l’écriture « d’un duo tragi-comique » de deux femmes d’âge mûr, brillamment interprétées par Valérie Bauchau (Gaby) et la sublime Marie-Sonha Condé, dont le naturel bluffant plonge le public non plus dans l’imaginaire, mais bien au-delà de la scène, dans la vie réelle !
Écriture et mise en scène : Pour ce beau texte (découvert en France par le Festival de la Mousson d’été-Pont à Mousson), l’auteure néerlandaise Magne van den Berge choisi un titre poétique qui ne révèle en rien l’issue de la pièce, titillant jusqu’à la fin l’imaginaire des spectateurs : « Privés de feuilles, les arbres ne bruissent pas ». Avec « le moins de mots possibles, dans une langue ciselée et percutante », elle arrive à « suggérer et révéler les drames, les souffrances, les regrets et les espoirs de ces femmes » comme le souligne si bien Esther Gouarné, la traductrice du texte en français.
La multi performeuse, Pascale Henry (que l’on ne présente plus) signe ici une mise en scène sobre, tout en retenue, dont la simplicité fait la force. Elle crée la surprise au sein du public quant à l’issue de l’histoire. Pour Pascale Henry : « La création d’une pièce est toujours l’occasion d’entrer profondément dans une vision du monde ». Force est de constater qu’elle nous entraine avec elle dans cette vision, cette « résonance » particulière. Je ne peux, dès lors, pas résister à la citer lorsqu’elle « s’attache à soutenir » que « en ces temps où le divertissement est trop souvent réduit à sa fonction d’oubli, un théâtre où les jeux de la pensée et de la poésie nous soient rendus comme formidablement divertissants, c’est à dire capables de desserrer l’étreinte du réel pour mettre en mouvement ».
Telle une rue de traverse, l’amitié en relie deux « autres », deux Êtres, de plus grande importance !: « PRIVES DE FEUILLES LES ARBRES NE BRUISSENT PAS », un spectacle à découvrir là où il se jouera à nouveau.
Julia Garlito Y Romo
Scénographie : Michel Rose ; costumes : Audrey Vermont ; composition musicale et sonore : Laurent Buisson ; lumière : Michel Gueldry ; régie générale : Céline Fontaine ; diffusion 19.10-Prod : Emmanuelle Guérin ; administration et production : Jean-Luc Girardini : décor réalisé par : les ateliers de construction de la Ville de Grenoble ; photo : Jean-Pierre-Maurin ; production : Les Voisins ; co-production : Théâtre des Ilets-CDN de Montluçon Théâtre municipal de Grenoble
Le texte a été découvert en France par le Festival de la Mousson d’été-Pont à Mousson.