LE « DON JUAN » DE DAVID BOBEE : UN SACRE FESTIN !

Dom Juan ou le festin de pierre – mise en scène David Bobée – La Villette – du 30 mars au 2 avril 2023.

Voilà un Dom Juan qui ne ressemble à aucun autre. Exit les jeunes premiers flamboyants et les costumes à rubans. David Bobée fait de Dom Juan un bad boy provocateur inquiétant, moderne, dans un monumental et somptueux décor de statues de pierre. Emmené par un Radouan Leflahi explosif dans le rôle-titre, efficacement secondé par Shade Hardy Garvey Moungondo qui campe un Sganarelle hilarant et plein de bon sens, une belle distribution invite Molière dans notre siècle et transcende les clichés. Ce Dom Juan est un véritable tour de force qui contourne élégamment le piège surnaturel du dernier acte. Une mise en scène qui fera date à découvrir d’urgence.

A peine vient-il d’épouser Elvire que Dom Juan s’enfuit et jette son dévolu sur une nouvelle proie. Son valet Sganarelle tente de le raisonner sans succès. L’épouse abandonnée vient demander des comptes, Dom Juan s’esquive et continue à défier les conventions au péril de sa vie…

Quelle scénographie ! Dès la fin du prologue qui présente la distribution de la pièce, le rideau dévoile une immense statue couchée , à côté de laquelle d’autres statues attendent leur tour. La statue s’escalade aisément, nul autre décor n’est utile. Le temps de Dom Juan est compté, des filets de sable s’égrainant sur la scène le lui rappelleront plus tard. Les costumes sont d’aujourd’hui, la distribution est cosmopolite, Shade Hardy Garvey Moungondo est un Sgnarelle surprenant et étincellant. Les paysans Charlotte et Pierrot sont joués par des comédiens chinois qui troquent le patois du texte d’origine pour leur langue maternelle, surtitrée sur scène. La mise en scène de David Bobée se fait fort de refléter le monde d’aujourd’hui, au point que Dom Juan n’hésitera pas à remplacer la rivale de Charlotte, Mathurine, du texte d’origine par Pierrot lui-même à qui Dom Juan multiplie les promesses amoureuses. Le metteur en scène aime aussi à croiser les disciplines. La comédienne qui joue Charlotte est danseuse, ses gestes chorégraphiés disent tout le charme envoûtant de la jeune paysanne. La musique s’invite aussi : Sganarelle n’hésitera pas à prendre la guitare et chanter dans des moments clés.

Là où Dom Juan est un grand séducteur presque Dandy dans d’autres mises en scène, le Dom Juan campé par Radouan Leflahi est un bad boy que rien n’arrête, cru, n’hésitant pas à faire usage de la force, en pantalon noir serré et débardeur blanc. Il se joue de tous, ne respecte rien, traine avec lui un mépris pour la vie qui le voit, au bord du précipice en haut de la statue, presque prêt à sauter. Il joue avec le feu. Son nihilisme et son manque de respect s’étalent dans le dernier acte, que ce soit face à un parent, un valet ou un marchand à qui il doit de l’argent. Les scènes de banquet saccagé sont choquantes, la provocation s’accélère.

Il ne faut surtout pas oublier de saluer Sganarelle, dont le rôle prend ici une saveur exceptionnelle. Il rivalise d’énergie avec son maître, occupe tout l’espace avec sa grande silhouette, ses bras immenses et son visage incroyablement mobile.

Le dénouement de la pièce de Molière pose un problème : peut-on vraiment présenter la statue de pierre du commandeur en mouvement, la faire appeler et escamoter Dom Juan, comme une manifestation divine ? David Bobée se passe de ce Deus ex Machina. La folie de son Dom Juan et sa tendance à l’autodestruction l’emportent dans un dernier acte saisissant où tout s’accélère. Grandiose !

Emmanuelle Picard

Photo Arnaud Berteraud

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