Big Mother – Mélody Mourey – Au Théâtre des Béliers Parisiens.
Un fascinant thriller dystopique mené tambour battant
Le théâtre a ses prodiges, jeunes auteurs et metteurs en scène qui font salle comble avec une publicité limitée. C’était le cas d’Alexis Michalik, maintenant bien lancé, et c’est maintenant le tour de Mélodie Mourey. Après La course des géants et la crapauds fous, la jeune dramaturge signe avec Big Mother un thriller bien ancré dans notre époque, une projection à peine exagérée d’un monde où la manipulation des deep fakes et des données personnelles fait basculer une nation. Servie par six acteurs caméléons, Big Mother fait défiler à un rythme d’enfer une série d’événements avec une tension tenue de bout en bout. Un récit intelligent qui interroge notre relation aux données personnelles et aux réseaux sociaux.
Journaliste au New York Investigation, Julia voit réapparaître dans un tribunal un homme qu’elle croyait mort depuis longtemps. Pendant ce temps, son journal est en ébullition à la suite de la parution d’un sextape sur le Président des Etats-Unis…
Ecrans de tailles diverses en fond de plateau, mobilier minimum, perruques et costumes modernes : le dispositif scénique permet d’enchainer les scènes à toute allure. Il suffit de projeter des éléments d’ambiance ou une vidéo sur les écrans pour changer de lieu. Dans Big Mother, le rythme fait tout. L’action saute de la rédaction du journal aux domiciles des personnages, en passant par un tribunal, et s’envole même à Hong Kong. L’allure est soutenue y compris dans les échanges entre les protagonistes. Ce monde va vite. Il faut s’accrocher pour suivre les rebondissements de l’histoire de Julia qui croise l’Histoire des Etats-Unis.
Les répliques sont cinglantes, bourrées d’humour et révèlent les faiblesses des personnages. Chacun des caractères est trempé, de la mère juive au nouveau mari hispanisant journaliste animalier. Il y a un ton, une attitude, une manière de penser qui vire à l’archétype.
La trame de l’histoire de Big Mother est fascinante, tout comme son ancrage dans notre monde actuel : les deep fake propagés à toute allure sur les réseaux sociaux remodèlent la vérité, bouleversent le paysage politique. Les données personnelles semées inconsciemment par chacun conduisent à une manipulation de masse. La force des dystopies est de nous faire réfléchir sur l’avenir de notre société, et Big Mother renvoie chacun à sa relation aux données et aux réseaux sociaux.
Alors bien sûr, tout est très littéral, les personnages sont très typés, il n’y a pas de place pour les zones grises ou pour s’appesantir sur les sentiments. Les répliques semblent parfois criées, les chorégraphies de groupe faites pour accélérer le temps qui passe sont un peu étranges. Passons, chacun son style.
Big Mother est un spectacle grand public, accessible à tous, une histoire racontée à chacun pour l’inviter à réfléchir sur l’avenir de notre monde avec efficacité.
Emmanuelle Picard