Behind the light – Cristiana Morganti – Théâtre des Abbesses Paris – du 6 au 11 mars 2023.
Après avoir dansé vingt ans au sein de la Compagnie de Pina Bausch, Cristiana Morganti a pris son envol. Elle nous présente aujourd’hui un troisième opus, après Jessica and me, et Moving with Pina. Cheveux noirs indomptables, lèvres écarlates, sourire désarmant, accent italien prononcé, l’artiste a une personnalité bien trempée. A cinquante-cinq ans, âge qu’elle avoue elle-même sur le plateau, elle s’obstine à danser encore, et à créer des spectacles où la parole est aussi importante que le geste. Dans Behind the light, elle se livre avec une auto-dérision bouleversante et salutaire. Un ODNI, objet dansant non identifié, qui réconcilie les spectateurs avec les failles de la vie.
Plateau et écran blancs, fauteuil gonflable en plastique rose. Les compositions esthétiques sont soignées. Des vidéos aux tenues de l’artiste, rien n’est laissé au hasard. Avec deux sèche-cheveux braqués à pleine puissance, elle nous offre l’image sidérante de la Sirène cheveux aux vents.
Le spectacle commence sur une étrange musique agaçante. A dessein. L’entrée en matière est un pied de nez, un cri du cœur contre toutes les figures imposées de la relation avec le public. L’artiste sature et hurle sa douleur avant de prendre la pose dans le fauteuil rose. Cristiana est bavarde, elle n’hésite pas à prendre le micro pour raconter à toute allure les catastrophes de sa vie personnelle ces dernières années. Elle hurle sa douleur, la perte de ses parents l’un après l’autre et sa séparation. Ce spectacle est une catharsis où elle se dévoile sans réserve. La souffrance est palpable, le cri touchant.
Face à l’adversité, l’auto-dérision et la danse sont salutaires. Cristiana Morganti se moque brillamment d’elle-même, de ses régimes, de ses nombreuses douleurs articulaires ou de ses entrainements de danse quotidiens. Son dialogue lyrique avec elle-même est un morceau de bravoure. Qui n’a pas été traversé des mêmes doutes, hésitations ou luttes internes ? Mais Cristiana est une danseuse avant tout, quoi qu’il lui en coûte, et comme en témoignent les nombreux solos qui émaillent le spectacle. Les bras sont d’une fluidité désarmante, comme son sourire, ses déhanchés de Zumba ou ses envolées lyriques. Les gestes subliment les mots.
La chorégraphe parle de son métier avec énormément d’humour : l’histoire du spectacle international maintes fois annulé durant le covid est hilarante, tout comme ses relations avec les producteurs et les théâtres, ou encore la difficulté d’exister en tant que chorégraphe après Pina. Pina a tout fait, s’en démarquer est une gageure : « le jazz mélodique, pour moi c’est non. Les talons, c’est non… ». Les clins d’œil à la grande chorégraphe allemande sont inévitables, comme la danse des mains du premier numéro qui rappelle furieusement le Leaozinho de Lutz Förster.
Hors normes, Cristiana l’est par son âge, son physique, son histoire de danseuse, et son talent comique. Elle est tout sauf formatée, et montre qu’il n’y a pas de limite d’âge, qu’il est toujours possible de se réinventer. Que si les revers de la vie nous ébranlent, l’autodérision et la persévérance sauvent de tout. Son authenticité absolue emporte l’adhésion sans réserve du public qui offre à cette belle leçon de vie une salve d’applaudissements.
Emmanuelle Picard
Photo Ilaria Costanzo