« LA GRANDE MAGIE » : UNE ILLUSION QUI PEINE A S’EMBRASER

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La grande magie – Emmanuel Demarcy-Mota – Théâtre de la Ville (Espace Cardin), Paris – du 7 au 23 décembre 2022 puis du 3 au 8 janvier 2023.

Le théâtre est bien le lieu de la magie, celui où s’invente la vie sur scène. Parfois la représentation ne prend pas, la mécanique est trop visible, trop artificielle pour créer l’illusion de la réalité. Tout le mystère du théâtre est bien là : même si la pièce est célèbre (« La grande magie » a été jouée à la Comédie Française), même si le metteur en scène (Emmanuel Demarcy-Motta) et les comédiens sont renommés, l’ensemble peine à être crédible. La pièce d’Eduardo de Filippo repose sur une ficelle énorme, elle interroge la réalité avec acuité. La transposition qui en est faite par le directeur du Théâtre de la Ville est difficilement entrée dans la réalisation de ce tour de passe-passe, même si la confrontation finale entre Serge Maggiani (Otto Marvuglia) et Valérie Dashwood (Calogera di Spelta) gagne finalement en profondeur. Le collectif ne prend pas vraiment, les enchainements n’y sont pas. Un rendez-vous manqué.

L’hôtel Métropole accueille tous les ans pendant la période estivale un lot de vacanciers. Cette année, un couple se distingue, les Di Spelta. La jalousie maladive de la femme conduit le mari à organiser un stratagème pour s’enfuir avec son amante. Pendant le spectacle de l’illusionniste Otto Marvuglia, il se porte volontaire pour disparaître dans une boite magique. Pour faire patienter l’épouse jalouse, Otto lui remet la boite où est sensé se trouver son mari : elle ne doit l’ouvrir que si elle croit qu’il y est, sinon elle le perdra pour toujours… A noter que dans la pièce d’origine, les rôles sont inversés : le mari est un jaloux intraitable, tandis que la femme est volage et s’enfuit avec son amant.

Le plateau est plutôt vide, l’ambiance est créée par les projections visuelles, paysages maritimes. Des mondaines échangent des ragots. Quelque chose cloche déjà. Il y a un manque de fluidité et de naturel dans ces verres à cocktail vidés à toute vitesse. Qu’est-ce qui fait que le théâtre est ou n’est pas ? Une qualité de présence qui se passe d’accessoires, un collectif qui s’écoute, des mouvements fluides… Difficile de pointer exactement ce qui ne va pas mais ce premier acte est pesant. Même l’arrivée d’Otto, magicien raté et profiteur, ne sauve pas la mise. Le deuxième acte démarre tout aussi difficilement : la maison d’Otto a du mal à prendre corps, à exister. Serge Maggiani monte en puissance dans son rôle de prestidigitateur de la parole. Les autres suivent comme ils peuvent. L’invocation de la mer devant le mur de la maison commence à donner du poids à l’illusion. Le troisième acte est heureusement beaucoup plus dense et intense dramatiquement. Le jeu de l’illusion porté jusqu’au bout, la détresse de Calogero et le lien qui se crée entre l’illusionniste et l’épouse trompée prennent corps. L’intention de l’auteur apparait enfin.

« Avec La Grande Magie, j’ai voulu dire que la vie est un jeu et que ce jeu a besoin d’être soutenu par l’illusion, qui à son tour doit être alimentée par la foi, et j’ai voulu dire que chaque destin est relié au fil d’autres destins dans un jeu éternel… » disait Eduardo di Filippo. La détresse de Calogero, qui a besoin de croire jusqu’au bout que son conjoint lui est fidèle, sans pour autant arriver à ouvrir la boite est paradoxale. Son refus de voir la vérité en face, même quand elle lui est énoncée clairement, est émouvant. Les exercices de style du magicien poussent loin le discours des illusions, au point que Calogero l’intègre intégralement. Le troisième acte est assurément le plus réussi, avec un face à face spectaculaire de Valérie Dashwood et Serge Maggiani.

Dans ses premières représentations, « La Grande Magie » est un spectacle laborieux. A voir s’il gagne en puissance au fil du temps… La pièce d’Eduardo de Filippo mérite en tout cas d’être connue.

Emmanuelle Picard

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