Cirque : Slava’s Snowshow – À La maison de la danse de Lyon – jusqu’au 11 décembre 2022 à 20h30.
Depuis les 30 ans que le Slava’s snowshow tourne, de Copacabana en passant par l’Afrique du Sud, pause café à Londres, pause clope à Lyon, pour aller jusqu’au Japon, le spectacle a eu le temps de devenir une véritable référence dans le cosmos clownesque. Dans les recherches Google le nom de l’artiste-metteur en scène est affiché juste aux côtés de ceux d’Annie Fratellini, Chocolat, Footit, Debureau, Marceau : Slava Polounine, un grand clown donc, reconnu par un moteur de recherche écrasant, un clown haut en couleurs, un vrai incontournable dont on ne verra cependant pas la silhouette puisque le rôle-titre est repris depuis que l’horloge tourne par un de ses compères. Heureusement il est possible de retrouver la folle histoire de l’irrésistible ascension de ce Slava et de sa troupe dans un recoin à ciel ouvert de leur site web : le ton a quelques accents d’entrepreneuriat artistique à la fierté mal dissimulée (la jeune artiste en herbe que je suis crève de jalousie) : “Alors sans hésiter, on a vite filé au Royaume Uni pour trois semaines en mettant tout en jeu : mon propre argent, ma carrière, le bien-être de ma famille… Le show a été un succès phénoménal et on a été élu meilleur show de l’année ! Notre première représentation à Londres, a attiré 200 personnes et une semaine plus tard, ils ont dû ouvrir la 3e partie de la salle pour la première fois en 50 ans !”
Tout l’argent de Slava y est passé et on le sent bien : les confettis trop nombreux neigent en accéléré, les lumières assourdissent, les sons éblouissent dans des clairs-obscurs convenus, l’avalanche se met à table et nous en met plein les yeux, d’énormes ballons multicolores tout droit surgis d’une fête foraine amusée viennent crever le quatrième mur en se jetant dans le bain d’une foule en délire après les deux heures de show, bref le show a les moyens de ses ambitions et personne ne peut s’en plaindre car tout de même c’était bien beau. Reprocher au théâtre de vouloir se vendre par les temps qui courent et trouent nos poches paraît absurde, d’autant plus que le snowhshow, muet comme un flocon sous verre, laisse la rhétorique aux publicitaires pour préférer trébuchet et planer, ailerons aux chapeaux et nez si rouges qu’on aurait pu les cueillir si on était pas si loin sur les balcons. La légèreté est au clown ce que le kitsch est aux bourgeois et si les effets techniques peuvent manquer de cette maladroite élégance qui constitue le charme des héros sans exploits, disons que le show a mal vieilli, a pris du poids et des effets spéciaux de trop à l’instar des jeunes péquenauds fauchés de Jacques Brel qui finissent dans les bottes de ceux dont ils se moquaient, les bourgeois.
Si le clown fait rire aux éclats avec ses hélices qui lui font à peine toucher terre, la légèreté est me semble t-il ce dont souffre le spectacle. Si le clown effiloché possède une logique qui lui est propre et construit un narratif décousu auquel nous avons une bribe d’accès pour y effleurer ses folies, les clowns de Slava sautent du coq à l’âne, d’une gare à l’océan, d’une envie de se pendre au désir d’une métonymie de femme sous un manteau, d’un requin qui salue son public à des compéititons de chefs d’orchestres. Alors oui, c’est fou-fou, il y en de partout et pour tous les goûts, et je n’attendais pas non plus de la part des clowns une histoire bien tenue qui suit à la lettre son schéma actanciel. Mais là, l’arbitraire règne en maître sur le show-patate et les tableaux s’enchaînent à la queue leu leu sans avoir d’autres liens que les décors ou les costumes – plutôt homogènes grâce au fracas produit par leurs couleurs criardes. Binge-watching à gogo entre ces différentes boules à facettes aux facéties un peu attendues, éclaboussures et coiffures envolées, le show impressionne, nous fabrique la bouche en forme d’étoile, mais manque d’unité et d’originalité. En même temps peut-on en vouloir au grand spectacle de ne pas satisfaire ce public maigrelet, pétri par les exigences esthétiques difficiles à satisfaire ? Le populaire doit enchanter le populaire en le divertissant, non pas ? Mais déranger, désenchanter, bousculer le public de néophytes n’est il pas plus nourrissant ?
Secouer des bouteilles d’eau ou marcher sur les sièges, ça ne peut pas suffire. En sortant, le public doit rire en fronçant les sourcils. En sortant, le public doit avoir envie de revenir, parce que des choses lui ont échappé, parce qu’une inquiétante étrangeté a provoqué le vacillement du rire en le rendant convulsif. Les clowns du Slava’s snowshow sont des archétypes, des mimes de clowns qui ont un peu vieilli ; c’est alors une belle entrée dans l’univers des nez rouges mais si on veut finir un peu plus décoiffés, et cette fois-ci dans le sens figuré du terme, il faut se rendre ailleurs, à Aurillac, au Samovar ou sur Youtube (Clown me in, etc), où les tout jeunes clowns mettent leurs savates dans les rides de leurs vieux modèles pour créer de nouveaux comiques qui puissent tirer la barbe du monde.
Célia Jaillet