« VERS LE SPECTRE », CEUX QUI FONT EXISTER LE SILENCE

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Vers le spectre – Mise en scène Maurin Ollès – Au Théâtre des Célestins, Lyon, jusqu’au 8 octobre 2022.

« Vers le spectre » propose de suivre le parcours de vie d’un jeune enfant atteint d’autisme : Adel. “Vers le spectre” comme à la poursuite d’une figure fantomatique fondée sur un paradoxe : si Adel est le sujet central de la pièce, il n’y prend que très peu la parole et doit son existence aux discours qui gravitent autour de lui. Ces discours toujours pluriels et tantôt douloureux, tantôt colorés, dessinent une silhouette insaisissable, insondable. Il y a cette scène de plus en plus comique dans laquelle une maîtresse, essayant d’expliquer à sa classe d’enfants la maladie d’Adel, s’emmêle les feutres et les pinceaux entre différentes métaphores de maisons bien rangées et de potagers. Adel échappe aux définitions et les spectateur-ices n’apprendront au cours des 2H15 de spectacle que quelques détails à son sujet : qu’il aime se faire masser les mains, jouer du piano, construire de grandes tours avec des chaises.

S’il arrive souvent à Pippo Delbono d’amener sur scènes des comédien-nes souffrant d’autisme (sans que ce ne soit un thème du spectacle) Maurin Ollès choisit de ne pas incarner son personnage impénétrable par un comédien. Le régisseur, visible sur scène, prend en charge le rôle muet d’Adel. Les parties musicales dont il est à l’origine se confondent avec plusieurs bruits assourdissants et répétitifs qui paraissent matérialiser son univers intérieur. Ce parti-pris fait d’autant plus sens que le régisseur avait cet air d’absence propre aux enfants considérés comme différents sous prétexte qu’ils sont dans un ailleurs inexistant.

La figure d’Adel marquée par son retrait discret permet dès lors d’élargir le champ des problématiques soulevées par le spectacle : le public passe d’une salle de réunion pour professeur-es en grève à un foyer de vie associative qui regroupe des femmes dont les enfants sont autistes. Ensemble, elles ont choisi d’inventer tout ce qui manquait aux institutions, un lieu d’entraide où l’empathie étire les sourires et fait ouvrir les bras. Le père d’Adel y trouve beaucoup de soutien et de courage. Des salles de classe aux tréteaux de théâtre, du canapé au lit d’hôpital, sont abordées des questions liées à l’éducation, au rapport à l’autre, au groupe et à la politique avant que n’explose une infirmière au cours d’une conférence pour réclamer un dégel du système qui cloître Adel dans le même hôpital psychiatrique depuis 3 ans.

Tout va très vite, les problématiques paraissent toutes infinies de complexité, les costumes se juxtaposent à mesure que les décors glissent sur leurs roulettes, les vitres ouvrent d’autres tableaux et les chaises pour enfants constituent une tour de Pise des plus solides, par revendication de fragilité. La puissance du spectacle repose en grande partie sur ce “très vite” qui n’accélère jamais pour nous perdre. Enchaînement rythmé des répliques, dynamique des voix, fluidité des tableaux, truculence des personnages incarnés par des comédien-nes dont la précision laisse tout aussi bien place aux émotions. Le recours aux vidéos participe aussi en un sens à l’épaisseur du spectacle, par une métaphorisation répétée de l’autisme : des enfants portent des masques gribouillés de rouge, des regards sans trous et dansent, esquissent des gestes aux allures d’étrangeté comme pour abolir l’hétérogénéité par le prisme de la bigarrure. Un spectacle qui traverse un spectre entier de couleurs en suivant le fil d’une vie dont on sait peu de choses et qui n’a pas besoin d’en dire plus. L’autisme n’y est pas réduit à la troisième sonate en Fa majeur de Beethoven : au piano est jouée une mélodie simple et heurtée, cela suffit pour secouer.

Célia Jaillet

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