L’île d’or – d’après Hélène Cixous, création théâtrale d’Ariane Mnouchkine – Au TNP, Villeurbanne, jusqu’au 26 juin 2022.
Au Japon, sur une île d’or, sur des tréteaux à roulettes, sur des vagues émaillées par la soie, un festival de théâtre se fabrique. Accueillant des troupes venues du monde entier, de la Chine à la France en passant par l’Afghanistan, l’organisation de l’événement est un excellent prétexte pour nous faire assister aux répétitions de théâtre, minutieusement chronométrées et souvent sans vergogne arrêtées. Les scénettes chorégraphient l’amour, font danser chameaux et hélicos, parlent politique et dénoncent la censure. Cette dramaturgie hétéroclite et décousue, vêtue de son traditionnel costume d’arlequin, trouve son unité par une intrigue un peu légère, une menace en vol plané : des industriels aux allures de politiciens ou entrepreneurs connus projettent de construire un casino à la place du port prévu pour accueillir la générosité du festival.
Sauf que ce manichéisme ne mène pas bien sa barque et peine à convaincre le public que punir les méchants à coups de bâtons, d’exil et de vertige suffit à régler le problème qu’ils amènent. Les caricatures brinquebalantes font florès et surtout à travers les traductions françaises du japonais qui… l’ordre des propositions grammaticales… inversent, dans un mélange peu subtil d’alexandrin et de maître yoda. De l’aspect le plus insupportable du spectacle, il s’agit là, sans… des accents des personnages… parler. La grossièreté sert à coeur joie le comique, à n’en plus finir de grimacer entre les “salopes”, “par la chatte je te prend” et autres vulgarités. Les brefs moments de poésie se retrouvent noyés sous un délire technologique qui autorise des exacerbations proches du jeu stand-up ; les différents personnages dégainent à tout-va leurs téléphones indiqués pour briser une distance et marquent des pauses téléphonées ouvrant leurs bras à nos rires. Beaucoup de scènes se ressemblent dont certaines trop arbitraires ennuient dès l’entrée. Pour ce qui est de la politique, on nous explique qu’il arrive à ce qui se prétend vrai d’être faux et qu’ainsi se méfier il vaut mieux. Enfin, sans doute que le spectacle tout entier prend un coup lorsque la crise du Covid 19 est abordée de but en blanc par des blancs-becs en marionnettes, sans métaphore ni rien de nouveau sous le soleil.
Si le marchand de sable a construit quelques plages assoupies, l’île d’or conserve malgré tout de nombreux trésors dorés qui nous gardent éveillés. La mise en scène, au rendez-vous de chaque création du théâtre du Soleil est évidemment un petit bijou d’inventivité, de couleurs, de dynamisme et de fluidité. Quelques très jolies trouvailles me resteront longtemps entre les doigts de pieds : l’écharpe du petit prince qui suit le cours du vent, le comédien décidant d’incarner le volcan armé d’une pauvre cigarette, la mer, la mer, toujours recommencée, tissu de soie agité déjà dans le Dernier Caravansérail, ce couple se battant au sujet d’une petite brique de mur de Gaza pour savoir dans quel sens positionner, des éventails éventrés et qui se baladent de gestes en mouvements entre les tréteaux roulants aux allures de tapis volants. Chez Ariane Mnouchkine, le théâtre est un roi nu, vêtu de vrais costumes de nu et de faux masques de chair, célébré pour ce qu’il a de fugitif et de rattrapé au vol.
Cornélia, déjà présente dans une Chambre en Inde, alitée et en proie à un délire plus pathologique que lors de son premier voyage, continue de rêver un théâtre qui s’incarne au rythme des didascalies qui la traversent, durant des nuits assoiffées par la nécessité de créer. On aurait aimé la voir s’affairer plus longtemps à inventer ces histoires, ces traquenards (dont la fragilité scénaristique provient peut être de sa maladie) tant la comédienne est prodigieuse de sincérité, de folie, dans un corps protéiforme qui inlassablement s’écroule où recommence la vague. Comme Cornélia traquée par le théâtre, à la sortie du théâtre (le TNP) les spectateur-ices auront le bonheur d’écouter les coeurs de quelques tambours battre à la chamade tout en se régalant les babines avec des gâteaux japonais et bières tout aussi japonaises surgies du petit camion rouge, aux semelles des escaliers : par le théâtre du Soleil, même un peu essoufflé par toutes ces années, je veux bien être traquée.
Célia Jaillet