Le crépuscule des singes – Louise Vignaud – Théâtre du Vieux-Colombier Paris – du 1er juin au 10 juillet 2022.
La Comédie Française continue de célébrer les 400 ans de la naissance de Molière avec une création de Louise Vignaud et Alice Cosson au Théâtre du Vieux-Colombier. Le projet est ambitieux : faire dialoguer à trois cents ans d’écart Molière et Boulgakov, deux dramaturges qui dénoncèrent les travers de leurs temps et eurent sans cesse à composer avec le pouvoir en place, pour échapper à la censure. S’il est servi par une troupe merveilleuse, le spectacle n’en est pas moins un peu long et décousu. La succession de saynètes et d’extraits de pièces, et l’alternance entre les époques perdent en puissance à vouloir trop s’expliquer.
L’écrivain Mikhaïl Boulgakov est chez lui, attelé à sa table de travail, quand un envoyé du gouvernement vient lui annoncer que sa dernière pièce ne sortira pas, et que ses œuvres ne seront plus jouées ni répertoriées en bibliothèque. S’invitent chez lui en plein délire nocturne les fantômes de Boileau, Chapelle et La Fontaine, qui précèdent Molière et viennent lui « remonter le moral ».
Intérieur sobre, étoffes chamarrées, l’avant-scène est occupée par la table de travail de l’écrivain russe. Plus tard, le rideau se lèvera sur les coulisses du théâtre de Molière. Les va-et-vient entre les époques se font dans un bric à brac d’accessoires. Le parallèle des situations est intéressant : Boulgakov face à Staline, Molière face à Louis XIV. Tous deux persuadés d’être aimés et soutenus du despote qu’ils servent. Et tous deux qui font les frais des situations et des personnages qu’ils mettent en cause. Tous deux privilégient le jeu, et sont prêts à adapter leurs pièces dans la douleur pour continuer à être joués. Tous deux sont soutenus par des femmes aimantes et dévouées. Cet effet miroir est renforcé par le choix des comédiens : Coraly Zahonero joue le rôle de Elena Sergueïevna Boulgakova et Madeleine Béjart, Thierry Hancisse ceux des censeurs.
Le texte associe passages inventés, citations et extraits d’œuvres. Certaines séquences sont marquantes, comme celle où Boulgakov avoue que tout homme l’intéresse, ou le face à face de Molière et Louis XIV. Les reprises des scènes du Malade Imaginaire, de l’Ecole des femmes ou de Dom Juan sont très réussies, le parallèle entre l’Elvire de Dom Juan et Madeleine Béjart face à Molière est touchant. Louise Vignaud et Alice Cosson partent de l’intimité des dramaturges, avec les femmes qui les soutiennent comme elles le peuvent. Ce parti pris tire la conversation vers le banal, le propos se délaie entre les morceaux de choix. L’attention s’égare.
Le point fort de la pièce est sans nul doute sa distribution. Le crépuscule des singes met en avant des comédiens comme Pierre Louis Calixte qui se faisait rare ses derniers temps. Il campe un Boulgakov très convaincant. Thierry Hancisse est terrible dans les rôles de censeur et même dans celui de Madame de Rambouillet, comme quoi le travestissement lui sied. Il y a des moments magiques, comme celui où Coraly Zahonero revêt un masque de comédie italienne pour jouer la colère de Madeleine Béjart face à Molière qui vient de lui annoncer qu’il épousait sa fille Armande. Tout son corps se meut, le moindre geste est expressif, la maîtrise technique est totale. C’est aussi le premier spectacle de Nicolas Chupin avec la Comédie Française, formidable d’énergie dans le rôle de Molière. Son jeu très physique promet de grands rôles à venir. Face à lui dans le rôle d’Armande et de Louis XIV, Géraldine Martineau est aussi très convaincante. Aucun rôle n’est négligé, tous contribuent à une belle dynamique d’ensemble.
Au final, « le Crépuscule des Singes » est un patchwork intéressant, qui a tendance à se disperser et aurait sans doute gagné à être resserré.
Emmanuelle Picard
Photo Comédie Française