UN « ELECTRE DES BAS FONDS » QUI DECHIRE !

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« Electre des bas fonds » – de et mise en scène par Simon Abkarian – au Théâtre du Soleil, Vincennes – Du 10 juin au 15 juillet 2022.

« Bien sûr, il y a Euripide et Sophocle, bien sûr, il y a Eschyle. J’aurais pu travailler sur l’une de ces pièces qui sont des chefs-d’œuvre absolus. J’ai choisi d’écrire ma version car je peux raconter cela comme on raconte une fable. » Simon Abkarian

Et comme vous avez bien fait ! Votre version est fabuleusement inattendue, électrisante et vibrante. Il n’y a pas plus funeste que le destin des Atrides et votre spectacle déborde de vie. Vous réussissez à faire de cet absolu classique, une relecture nouvelle et surprenante sans trahir la puissance du mythe original.

Dans cette fable tragique, tout commence par une fête. Cette nuit, c’est la fête des Morts. Une fête où l’on joue, les femmes des hommes et les hommes des femmes. Une fête où l’on danse sur tout, où l’on danse la mort, où l’on danse sur les cadavres et sur le ventre des femmes, où l’on danse pour survivre et pour exorciser la souffrance, où l’on danse pour vaincre les tyrans. Une fête entrainée sur le tempo palpitant d’une musique rock jouée en live (explosif trio Howlin’ Jaws). Une fête qui sent la vie autant que l’odeur du sang.

Dans ce tourbillon, le tragique se frotte au fabuleux, la danse devient rituel, les notes rocks subliment le lyrisme des héros de la Grèce antique, le faible défie le fort, le beau terrasse le laid, le verbe brut percute le verbe poétique, les effluves d’Orient se mêlent aux costumes d’Extrême-Orient, la haine inexpiable d’Électre fait face aux doutes d’Oreste. Et c’est de ce puissant brassage que naît toute la lumière du spectacle. Les tableaux d’ensemble sont incroyablement saisissants. Au-delà du jeu très incarné des comédiens, c’est l’effet de troupe, l’énergie collective qui nous happe du début à la fin et c’est l’expression des corps et la musique live qui font vibrer l’émotion.

Le regard que pose Simon Abkarian sur cette tragédie grecque est tout aussi percutant. Sur ce rythme survolté, nous sommes entrainés dans les bas fonds d’Electre. Electre, jeune femme, à qui l’on a tout pris : son père assassiné, son frère forcé à l’exil, son rang royal, sa liberté, la pureté de sa jeunesse…Reclue dans un bordel « qui sent l’urine, l’ail et l’alcool », elle est condamnée à nourrir sa rage et à espérer le retour d’Oreste pour accomplir son destin vengeur. La fable est inversée comme le souligne si justement, Kalissa, nourrice du frère et de la sœur, à qui l’auteur donne le rôle du conteur. « Dans nos fables et contes les souillons deviennent des princesses mais Electre de princesse est tombée dans les bas fonds. » ; un écho à toutes ces femmes du monde, victimes de la violence des hommes, de la folie guerrière, des idéologies rétrogrades …

C’est à ces femmes souillées , écrasées, dévorées par ces sociétés testiculaires que Simon Abkarian rend honneur. Sa réécriture d’Electre porte la lumière sur les personnages féminins. Il s’attarde sur Chrysothémis prête à sacrifier son honneur et sa virginité, jusqu’à perdre son âme, pour sauver sa sœur Electre. Il offre à Clytemnestre, reine redoutée autant que haïe pour avoir assassiné traîtreusement son mari Agamemnon, un déchirant plaidoyer pour expliquer son geste. Derrière le démon vengeur des Atrides, il nous laisse entrevoir la souffrance insoutenable d’une mère qui a vu mourir sa fillette Iphigénie, égorgée par les mains d’un père guidé par ses ambitions guerrières. Catherine Schraub dans le rôle y est éblouissante. Il va jusqu’à travestir Oreste, son apparence féminine se présentant comme le seul garant de sa survie. Il donne la parole à ces femmes forcées à la prostitution, ces rebuts de femmes réduites à « des ventres soumis au premier chien qui passe ». Elles forment un chœur aussi vivant que bouleversant qui accompagne Electre dans sa quête vengeresse, tentant en chemin de prendre leur propre revanche.

Simon Abkarian comme son personnage Sparos, se fait le porte-voix des oubliées et il le fait si bien que l’on attend qu’une chose c’est qu’il continue !

J’en suis sortie avec une irrésistible envie d’y retourner. Ce spectacle d’une richesse folle n’en est qu’à ses débuts et ne demande qu’à grandir pour nous porter encore plus loin…. Courez !

Marie Velter

Photo Antoine Agoudjian

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