« Oh les beaux jours » De Samuel Beckett – Conception et mise en scène : Laetitia Mazzoleni – Théâtre Transversal – Avignon.
Enfouie jusqu’aux seins dans son mamelon de terre et de roche, Winnie (Dominique Frot) se réveille sur un jouridentique aux précédents, avec cette même force renouvelée tous les jours à se raccrocher à des bribes de mots et d’objets pour faire passer le temps qui passe et trouver la vie toujours aussi belle. Seule autre présence, son Willie, bougon ne lui répondant qu’au travers de quelques onomatopées ou au mieux quelques mots empreints de plus ou moins de bienveillance mais essentiel à l’existence même de Winnie.
Dominique Frot, clown lunaire, fait naître une Winnie prenant forme par bribes de mots et de gestes, comme une esquisse précédant la toile. De râles en râles, de mimiques en mimiques, Winnie prend vie au-delà de son corps minéral. La voix devient plus claire et commence alors l’inlassable journée répétée. Seuls les mots, les objets et le miroir de son propre état que lui offre Willie suffisent pour continuer à vivre malgré la chaleur écrasante et le temps qui passe.
Laetitia Mazzoleni et Dominique Frot, toutes deux à la direction artistique, plongent le spectateur dans l’immobilisme de nos propres vies. De routine en habitude, le temps passe et même les mots deviennent routiniers, l’autre n’étant plus là que pour nous prouver qu’on est encore en vie et que ça en vaut la peine. Linéaire, la pièce de Becket devient alors plus sombre et l’issue devient tout à la fois inévitable et sans importance. Face à Dominique Frot, le comédien Kristof Lorion apporte ce poids indispensable à Willie, comme une sorte de statue vivante, à la voix profonde, qui n’accorde aucune importance aux dires de Winnie mais qui est toujours présent, comme dans un vieux couple qui ne se regarde plus mais dont la présence de l’autre devient indispensable pour continuer à se sentir vivant. La scénographie et les lumières de Sébastien Piron permettent d’instaurer un doute permanent entre l’optimisme naïf de Winnie qui se raccroche à son mamelon comme à une bouée de sauvetage et l’évidente vacuité de nos propres existences.
Un beau moment de théâtre qui laisse planer un doute permanent et ne fournit ni questions ni réponses mais qui pourtant amène forcément à se poser soi-même nombre de questions sur nos propres vies et leurs indéniables futilités.
Pierre Salles