« ANTIGONE À MOLENBEEK », SOMBRE ET INSPIRANT

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ANTIGONE À MOLENBEEK – Mise en scène : Guy Cassiers – Avec Ikram Aoulad – Texte Stefan Hertmans – Musique Dmitri Sjostakovitsj – Les 29 et 30/04/22 au Théâtre national, Bruxelles et en tournée internationale – en néerlandais, surtitré en français. 

Ne tournons pas autour du pot, si Antigone avait vécu à notre époque, elle passerait avant Greta Tunberg, Christiane Taubira, Kamala Harris, et j’en passe, au classement des femmes qui font bouger les lignes en 2022. Imaginons-là étudiante en droit à Bruxelles, de confession musulmane, et vivant à Molenbeek. Son jeune frère, terroriste, a été tué dans une explosion qu’il a provoquée. Elle veut le voir, récupérer son corps (ou ce qu’il en reste) pour l’enterrer. Soyons fous !! Vous l’avez sans doute deviné, il s’agit de Antigone à Molenbeek de Stefan Hertman, magnifique réécriture du célèbre mythe de cette jeune fille d’Œdipe et de Jocaste, qui tenta jusqu’à la mort d’enterrer son frère, Polynice. L’histoire est transposée ici dans l’actualité́ politique contemporaine.

Le spectacle est mis en scène par Guy Cassiers, un des maîtres du théâtre européen actuel. Comment pouvait-il en être autrement ? Depuis plusieurs années, le metteur en scène flamand a en effet fait de la peur de l’étranger, son thème de prédilection. Et Antigone à Molenbeek, bouleverse, questionne sur les représentations de la société d’aujourd’hui. Guy Cassiers mâtine histoire, littérature, technologie et musique, en l’occurrence le dernier Quator à cordes (n°15) de Dmitri Chostakovitch. Nous ne sommes pas déçus.

Le texte est incarné par l’actrice Ikram Aoulad. La performance de la comédienne est remarquable, elle porte le récit de bout en bout. On est avec elle dans ses tourments, ses angoisses, ses peurs. Elle s’ennuie, le public le vit. On voudrait l’en sortir, comment ? Des caméras sont disposées ici ou là, la filme tandis qu’un écran nous la montre en gros plan. La musique (sombre autant que l’agonie d’une vie) et les musiciens accompagnent les mouvements du texte rentrant peu à peu dans le corps de Nouria, (Antigone) pour ne plus en sortir ou pour mieux l’enfermer. Monsieur Crénom , je vous en supplie !/ Je veux le dépouillement…la dépouille/ de mon frère pour l’enterrer, c’est tout », supplie Nouria. « Enfin, Nouria, comme tu y vas…/ On n’est pas au théâtre ici », réplique l’agent, en ajoutant : « Cette ordure ne mérite même pas ton chagrin ».

Nouria s’arcboute, déboule à la morgue, ouvre des tiroirs aux corps congelés. Elle trouve un sac portant le nom de son frère, on l’arrête, on l’enferme…Guy Cassiers réussit un grand coup, celui de nous mettre en face les dysfonctionnements de notre temps, la folie des humains. Avec ces notes de musique soviétique, on est face à des questions brûlantes d’actualité : Sommes-nous dans le juste, le vrai ? Ne sommes-nous toujours pas dans le rejet de l’autre ? Et plus proche du livre, les kamikazes ont-ils droit à des enterrements ?

Si le but de Cassiers est de plonger le public dans l’ennui et la déprime ressentis par le personnage principal, Nouria, autant dire qu’il y réussit haut la main ! Spectacle à voir là où il se jouera à nouveau.

Dominique Bela

Distribution : Avec : Ikram Aoulad – Musique Dmitri Sjostakovitsj par Danel Quartet: Marc Danel, Vlad Bodanas, Yovan Markovitch, Gilles Millet – Scénographie et vidéo : Charlotte Bouckaert – Régie générale TN : Matthieu Kaempfer -Production : Toneelhuis – Coproduction : Danel Quartet – Avec le soutien de Tax Shelter Maatregel Van de Belgische Federale Overheid, Casa Kafka Pictures Tax Shelter Empowered By Belfius

Photo  © kurt van der elst | kvde.be

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