Les précieuses ridicules – Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux – Comédie Française (Théâtre du Vieux Colombier), Paris – Jusqu’au 8 mai 2022.
La saison Molière qui fête les 400 ans de sa naissance bat son plein, alternant créations et reprises. Au Théâtre du Vieux-Colombier, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux revisitent Les précieuses ridicules pour les mettre au goût du jour en se focalisant sur la peur viscérale de ne pas être à la mode. Avec un Jérémy Lopez en très grande forme dans le rôle de Mascarille et un accompagnement musical musclé, ils nous livrent une version hilarante de la pièce. La langue de Molière est bien là pour les précieuses et les précieux, le reste est escamoté ou transposé, ce qui ne plaira sans doute pas à tout le monde. Les acteurs semblent n’avoir aucune limite, et pour qui se laisse emporter, le plaisir est immense.
Cathos et Madelon, deux jeunes cousines provinciales récemment montées à Paris, rejettent les jeunes hommes que leur père et vieil oncle leur destinent, au motif qu’ils n’étaient pas assez « précieux ». Par vengeance, ceux-ci vont leur envoyer leur valet Mascarille les séduire, en le faisant passer pour un grand marquis. Les jeunes demoiselles n’y voient que du feu, et les jeunes gens rivalisent de créativité pour atteindre le summum de la préciosité.
Le parti pris est résolument moderne. Au milieu d’un dispositif bi-frontal trône un salon étonnant, mêlant fauteuils capitonnés, toiles ultra-modernes et panier de basket façon lustre de cristal. Le bazar général semble étudié. En guise de prélude Noam Morgenstern vient régler un luminaire, et introduit d’emblée une dose d’absurde. Autre surprise : Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, musiciens hors pairs, entament un duo surprenant autour de « si le roi m’avait donné… » pour séduire les deux cousines. Raccourcis au début comme à la fin : pour ne pas reprendre des séquences aujourd’hui datées, autour du mariage, les metteurs en scène coupent, transposent, offrent une chanson ou encore un grand silence final. Le rejet des demoiselles et le mécanisme de la vengeance se mettent en place en un rien de temps et sans dialogue inutile.
Ces précieux sont victimes d’une mode exigeante et extravagante. Cathos et Madelon s’expriment dans les vers d’origine. Le ridicule est d’autant plus grand que cette préciosité d’un autre âge détone vraiment dans le contexte moderne choisi. Elles assument et en imposent, Séphora Pondi d’une part, Claire de la Rüe du Can d’autre part. Tout est extravagant, démesuré : les costumes totalement incongrus (le sac à dos éclairé avec un plongeur dans une bulle d’eau vaut son pesant de cacahouètes), les tournures de phrase alambiquées (« les commodités de la conversation » pour parler des fauteuils), les activités fantasques (masques au concombre, gribouillage post moderne sur un tableau). Face à elles, Mascarille surenchérit sans cesse, aussi bien dans le costume que dans le langage ou les relations mondaines.
Le rire est partout. Dans les décors, les habits et les répliques de Molière bien sûr. Mais encore avec le sketch muet initial pour allumer un lampadaire, le champagne « gobé » en plein vol, ou un morceau de bravoure exceptionnel chanté par Jérémy Lopez. Le comédien nous offre un show incroyable, la chanson n’en finit pas de rebondir avec de nouvelles trouvailles qui se moquent des arrangements musicaux actuels. Quel délire ! Face à lui, Séphora Pondi tient tête et s’impose, tandis que Claire de la Rüe du Can joue une partition plus angoissée. Toutes deux font rire dans le ridicule des situations, mais elles sont bien des victimes comme le dénouement le montrera.
Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux se sont offerts un show qui leur ressemble, bourré de musique et d’inventivité. Ils offrent une interprétation libre, accessible et décapante d’un classique de Molière. L’angoisse d’être à la mode et ses conséquences sont aussi présentes aujourd’hui qu’elles l’étaient à l’époque. Actualiser le propos de Molière en vaut la peine.
Emmanuelle Picard
Image Vincent Pontet