Africa simply the best – Avec : Snak Zobel Raoul dans « Le Départ » – Agathe Djokam avec « À qui le tour ? » et Kevin Kabore : « Corps en mutation ». Concept et Coaching : Serge Aimé Coulibaly – Théâtre National de Bruxelles, les 17 et 19 mars 2022.
Difficile de ne pas voir dans les regards, cet air de fascination et d’éblouissement. Un peu comme pour dire, la page est tournée. Un Noir qui danse, cela n’est guère primitif, encore moins exotique. On peut -et c’est le cas ce soir avec Zora Snake- être conquis par son génie, sa gestuelle, sa démarche artistique. Les mentalités ont bien changées. Plus besoin de pousser les cris d’orfraie contre la propagande, fini le « sauvage », le démon, le gnome.
Et la preuve ! Artiste performeur, bluffant, aux allures de Fela Kuti, Zora Snake enchaine les prouesses, tel un voltigeur ! Parfois, on dirait qu’il vole tant l’espace, la musique et lui-même ne font plus qu’un. On est pris aux tripes.
La danse contemporaine africaine est à l’honneur à l’occasion de « Africa Simply the best » au Théâtre National, à Bruxelles, du 17 au 19 mars. Les trois meilleurs solos de danse de l’Afrique y sont représentés par Agathe Djokam, Zora Snake et Charlemagne Kaboré, tous lauréats de l’édition 2019.
Qui l’eut cru ? Lorsqu’en 2015, Serge Aimé Coulibaly, danseur-chorégraphe burkinabé (qu’on ne présente plus) se lance dans cet ambitieux projet, ce dernier est dans sa phase initiale. On l’appelle alors: « Symply the best ». Il s’agit de réunir des artistes chorégraphes de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) pour désigner le meilleur chorégraphe. Une année plus tard, le projet s’ouvre à toute l’Afrique de l’Ouest. 7 finalistes des 4 pays de la sous-région y prennent part . Fatoumaya Bagayogo sera lauréate de la seconde édition. Pari réussi, puisqu’en à peine deux éditions, le projet commence à faire parler de lui par la qualité des chorégraphes.
La troisième édition va s’ouvrir sans restriction sur tout le continent. On ne peut qu’apprécier, une nouvelle fois, la qualité des danseurs chorégraphes. Pour marquer le coup, un nouveau titre s’impose : « Simply the best Africa », « un lieu unique de rencontre et de confrontation entre jeunes créateurs aux parcours artistiques aussi riches ».
Lorsque le public franchit la salle de représentation, la camerounaise Agathe Djokam saute déjà à la corde. Un voile noir couvre son visage. Parfois, elle laisse échapper tantôt des soupirs, tantôt des gargouillis… Un air de méditation, un parfum mortuaire flotte dans l’air. Patience… On découvre la bête, l’ange, c’est selon. Le spectacle questionne le corps et l’esprit de chaque individu qui doit affronter la perte d’un être cher. Il explore les différentes étapes du deuil. Entre choc, colère, souvenirs, dépression, acceptation et renaissance, la danseuse nous embarque dans son univers. Avec la symbolique des arachides qu’elle partage avec le public, on est ramené dans l’au-delà.
« Corps en mutations », le spectacle du burkinabé Charlemagne Kaboré, est une réflexion sur l’être humain dans sa diversité, ses similitudes, ses peurs … La thématique est d’une brulante actualité. Le chorégraphe utilise la cendre et la latérite pour délimiter son espace, traçant sur le sol un graphisme représentant les rites culturels. Il devient son espace de protection, limitant l’espace où il chemine. Il évolue entre deux mondes, celui des morts et des vivants. Une lutte entre ses pensées, son vécu et celui qu’il y après, avec toutes les fragilités que cela implique. Bienvenu dans l’univers des us et coutumes africaines.
Mais, le clou de la soirée est, sans nul doute, la performance de Zora Snake avec son spectacle « Le départ ». Fascinant ! Hypnotique ! Outre ses qualités artistiques, on ne peut qu’apprécier son courage de dénoncer la dictature en place dans son pays, le Cameroun, à travers une imitation intelligente de Paul Biya. À partir d’un texte proféré et lié au corps crispé, les mots de l’engagement se mêleront à un langage chorégraphique, reflétant ce qui se passe actuellement dans nos sociétés carbonisées par un système injuste.
« Africa Simply » un spectacle à découvrir assurément, là où il se reproduira à nouveau !
Dominique Bela,
à Bruxelles