« LA SONNAMBULA », UN CHEF-D’OEUVRE DU BEL CANTO POUR LES GRANDES VOIX DE DEMAIN

La Sonnambula

La Sonnambula – Opéra de Vincenzo Bellini créé le 6 mars 1831 à Milan – Livret de Felice Romani d’après une intrigue d’Eugène Scribe – Direction musicale : Beatrice Venezi – Mise en scène, chorégraphie et décors : Francesca Lattuada – Donné à l’Opéra Grand Avignon les 25 et 27 février 2022.

Comme depuis quelques années déjà, l’Opéra Grand Avignon, en coproduction avec huit opéras régionaux, révèle au public les lauréats du Concours International de Chant de Clermont-Ferrand, 27ème du nom. Découverte d’une nouvelle génération de talents, émergence des grandes voix de demain. Un concours qui a confronté cette année les candidats à cette redoutable partition de Bellini, La Sonnambula, chef d’œuvre du bel canto romantique d’une richesse mélodique et vocale inouïe. Histoire mystérieuse et fantastique qui met en lumière la candeur d’un amour sincère confronté à la jalousie sur un fond de crédulité et d’obscurantisme.

Dès les premières images le ton est donné. Loin du village suisse imaginé par le librettiste, nous voilà plongés dans un univers onirique, un monde parallèle dans lequel le somnambulisme n’est peut-être qu’un rêve éveillé, l’expression des fantasmes et des angoisses, des anges et des démons qui agitent les esprits.

La mise en scène de Francesca Lattuada nous offre des images raffinées, chatoyantes et expressives au travers d’éclairages recherchés et de costumes fabuleux issus de ce monde fantastique et irréel, reflet de nos rêves intérieurs. Les traits des personnages sont appuyés mais toujours avec esthétisme et pertinence, souvent avec un trait d’humour et en pleine cohérence avec cet univers fantastique et cette atmosphère mystérieuse voulus par la metteuse en scène et le créateur des costumes, Bruno Fatalot.

Les deux scènes de somnambulisme sont évoquées avec beaucoup de finesse. La descente d’Amina sur le village endormi est féerique et une contorsionniste, alter ego de l’héroïne, évoque avec grâce les méandres de l’esprit et la complexité du personnage. Des guirlandes lumineuses, un parterre laqué dans lequel se mirent les personnages et les éclairages de Christian Dubet concourent à la magie du spectacle et à cette atmosphère surnaturelle qui enveloppe les personnages.

La population des villageois, vêtue de noir, apparaît comme une masse impersonnelle et obscurantiste, prompte à jeter l’opprobre sur l’innocente Amina accusée d’adultère lors d’une crise de somnambulisme. Une Amina frêle et pleine de fraîcheur dans sa longue robe immaculée, victime de la jalousie maladive d’Elvino présenté comme un personnage sombre, amoureux et sensible mais crédule et victime de lui-même, de ses préjugés et d’une rumeur malsaine. La rupture est violente, Elvino ne retire pas la bague donnée en gage d’amour à Amina mais lui arrache sa chevelure dans une scène qui évoque immanquablement l’humiliation et le sort réservé à la femme adultère en de tragiques circonstances. Après maintes péripéties, le malentendu étant enfin levé, Elvino coiffe curieusement le crane tondu d’Amina d’une couronne d’épine en gage de son amour. Peut-être en signe de rédemption, peut-être pour évoquer les affres à venir de la vie avec un mari jaloux.

Sans doute la révélation de ce 27ème concours, la soprano russe Julia Muzychenko est éblouissante dans le rôle d’Amina dont elle révèle toute la pureté, la fragilité et la sincérité de son amour. Elle aborde cette partition remarquable et redoutable avec assurance avec une voix limpide, nuancée et nous livre avec naturel des vocalises d’une pureté séraphique qui donnent le frisson. Tant par son jeu scénique que par son talent musical, Julia Muzychenko, on ne peut plus émouvante dans sa douloureuse candeur et la pureté de ses sentiments, illumine la scène et éveille en nous une profonde empathie. Une empathie qui ne semble pas toucher Elvino, personnage un peu rustre, d’une jalousie maladive, tout de noir vêtu, parfaitement interprété par Marco Claponi qui, avec beaucoup de présence sur scène et une voix assurée, sait transmettre avec nuances les états d’âme du personnage, tour à tour jaloux, coléreux, violent, puis amoureux contrit, délicat et passionné.

Cette histoire d’amour mouvementée est pimentée par des personnages hauts en couleurs sur lesquels Francesca Lattuada n’hésite pas à forcer le trait. Lisa, l’aubergiste amoureuse délaissée par Elvino, est incarnée par Francesca Pia Vitale avec beaucoup de présence et … de sex-appeal. Dans une robe rouge aguichante, bourgeoise ampoulée côté face et dos nu provocant côté pile – que d’aucuns trouveront inspirée d’une célèbre robe du cinéma français – elle nous livre de magnifiques vocalises aux aigus brillants et sait apparaître comme une amoureuse passionnée et sensible au-delà de ses apparences de femme facile et effrontée.

Enfin, fruit d’une imagination débordante du costumier, le Comte Rodolfo apparaît en pantalon rose, coquille et plastron dorés, muni d’ailes dont on ne sait si ce sont celles d’un ange ou d’un démon. Alexey Birkus interprète avec autorité ce personnage avec sa solide voix de basse. Là aussi l’interprétation propose un personnage plus nuancé qu’il n’y paraît et ce Comte, frivole et cavalier, sait faire preuve d’empathie et d’une certaine sagesse.

La distribution est homogène et de qualité et on retiendra l’interprétation de Christine Craipeau dans le rôle de Teresa, dans une immense robe blanche de conte de fée, mère protectrice et attentive à la réputation et au bonheur de sa fille adoptive Amina. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon, toujours à la hauteur, évoque dans une belle unité une masse de villageois crédules toujours prêts à nourrir les commérages malsains sur fond de bien-pensance.

L’Orchestre National Avignon-Provence est placé sous la baguette de Beatrice Venezi qui le dirige avec maestria et dans un bon équilibre qui met en valeur les voix et toutes les fioritures de la musique de Bellini. On peut regretter le nouveau dispositif scénique qui occulte la gestique du chef – ou de la cheffe en l’occurrence.

Le public réserve le meilleur accueil à cette production essentiellement féminine qui, au travers d’un spectacle imaginatif, coloré et esthétique, tant sur le plan visuel que musical, nous fait ressentir toutes les émotions du bel canto et découvrir les grandes voix de demain.

Jean-Louis Blanc

Image copyright Opéra Grand Avignon

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