« Coronis » – Omar Porras Vincent Dumestre – Opéra Comique, Paris – du 14 au 17 février 2022
Joyeuse fantaisie baroque, avec castagnettes et feux d’artifices
Coronis, quésaco ? Une nymphe de la mythologie grecque qui a suscité l’amour d’Apollon et de Neptune. Une zarzuela, opérette espagnole dont la partition exhumée au début du XXIe est finalement attribuée à Sebastian Duron. Elle aurait été écrite au début du XVIIe dans un style baroque espagnol bien trempé, avec pas moins de huit voix féminines pour un seul ténor. Le Coronis présenté à l’Opéra-Comique est surtout une grande fête, mise en scène par Omar Porras et dirigée par Vincent Dumestre. Les costumes sont somptueux, les décors grandioses, le jeu théâtral soigné et drôle. De cette histoire invraisemblable nait une fantaisie haute en couleur, royalement servie et inoubliable.
Le fils de Neptune, Triton, est dépêché par son père pour lui ramener la nymphe Coronis. Celle-ci rejette le « monstre » marin. Pour éviter la colère du dieu de la mer, les villageois multiplient les offrandes à Neptune, contre l’avis de Protée qui leur avait suggéré d’honorer Apollon, lui-même amoureux de Coronis. Les humains se trouvent alors pris dans une guerre inextricable entre les deux dieux…
Omar Porras est le roi des masques, d’un théâtre physique et expressif. L’entrée en matière se fait avec un villageois ébouriffé qui trouve son chemin sous le grand rideau de la scène. Tous les personnages sont sur-maquillés, avec des expressions clownesques. Les villageois sont mal fagotés en beige, tandis que les dieux et la nymphe apparaissent dans une explosion de couleurs somptueuses. Neptune et Apollon auront même droit à leur propre feu d’artifice. Les acrobates s’invitent sur scène. Les décors sont splendides, majestueux et astucieux pour suggérer tout à la fois la grotte de Protée, le village perdu, le clair de lune sur la campagne ou les flots qui dévalent.
L’humour s’invite dans le bégaiement de Ménandro, dans une course poursuite dans la salle ou une référence au masque anti Covid. Coronis est un spectacle total, qui n’oublie pas de rire de lui-même. Le rythme est tenu autour de deux journées, chacune divisée en deux temps distincts. L’action progresse vite dans une mythologie alambiquée. Aucun ennui possible.
Théâtre et musique se marient parfaitement. Les voix féminines ont la part belle, y compris pour les rôles d’Apollon, Triton et Neptune. L’univers baroque espagnol étonne, aussi bien dans le classicisme de certaines phrases que dans les castagnettes ou les percussions qui s’invitent ici et là. Dans le rôle-titre ce soir-là, Marie Perbost est une meneuse de revue impeccable, enjouée et entrainante. La distribution des rôles lyriques est agréablement homogène. Côté musical, Vincent Dumestre dirige son orchestre de spécialistes de musique baroque, Le Poème Harmonique, avec un naturel désarmant. Il y a quelque chose de magique à découvrir une œuvre rarement jouée dans toute sa singularité, à la fois profondément baroque mais aussi marquée par l’Espagne et les goûts italiens de son compositeur. Bravo à l’Opéra de Caen d’avoir une initié une telle production !
Coronis est une fête, un plaisir féérique qui sied parfaitement à l’institution de l’Opéra-Comique, un spectacle total aussi divertissant qu’exigeant musicalement.
Emmanuelle Picard