ETHER/AFTER – écriture, scénographie et mise en scène de Armel ROUSSEL au Théâtre Les Tanneurs, rue des Tanneurs, 75-77 à 1000 Bruxelles, jusqu’au 22 janvier 2022 à 20h30 – Durée : 2h30 sans entracte.
Entre réalité et fiction, la création de Roussel à la Bertolt Brecht.
L’espérions-nous ? Oui. Non. Sans doute. Peut-être. Une nouvelle interprétation de l’histoire de Baal, pièce de jeunesse du dramaturge Berthold Brecht, qui raconte la vie dénuée de sens d’un jeune poète maudit, brûlant la vie par tous les bouts, se nourrissant de sexe et de poésie. Et pourquoi ? Représenter le monde sert-il encore à quelque chose ? Ne vaut-il pas mieux, aujourd’hui, agir dans le monde plutôt que de le représenter ? Ehter/ After, la nouvelle création de Armel Roussel est brûlante d’actualité et d’engagement. On est comme pris au piège, dans un tourbillon. Un plaisir !
D’entrée de jeu, le/la spectateur.trice est pris à parti. Tout est en mode « transparence ». Ni les loges, ni les coulisses ne sont dissimulées au public. D’ailleurs, il est invité à s’installer devant et autour de la scène. À l’arrière du plateau, visible par tou.te.s, un monte-charge. Devant, des écrans de télévisions projettent (en direct) tout ce qu’il s’y passe. « Les mots de l’arrière-scène font sens et miroir avec ce qui se passe devant » explique Armel Roussel. « L’avant-scène représente la vie, tandis que l’arrière symbolise la fiction ». Certains passages sont surtitré. Les comédien.nes de différentes origines, s’expriment parfois dans leur propre langue, français, bien sûr, mais aussi anglais, estonien, japonais ou encore arabe.
Sur le plateau une longue table, des chaises. Tout semble indiquer qu’un repas se prépare ou plutôt que nous sommes face à un « théâtre abandonné ». La troupe s’apprête à répéter le texte du metteur en scène, Armel : « Baal » de Bertolt Brecht (*). Mais voilà, le metteur en scène a disparu, ou n’a pas souhaité venir. Sa présence est remplacée par un carnet de note. Et c’est là que tout commence. Les comédien.nes doivent suivre les indications et jouer. Alors que l’acteur principal, Tom (dont le rôle est Baal) est, lui aussi, « absent » (on le voit plus tard sur une vidéo), trois femmes et six hommes (et même un chien !) se retrouvent « seuls » sur scène et vont tout faire pour « brouiller les pistes ».
Nous sommes plongés en plein théâtre épique à la Brecht. Ici, pas de tragédie ou l’envie de sombrer dans le dramatique. Roussel et ses comédiens nous servent un spectacle loin des formes populaires habituelles ; une approche naturelle, sans mélodrame, parfois drôle, absorbant le public dans un tourbillon, un monde fictif… ou pas ! Car telle est la proposition : s’évader de la réalité, ne plus être soi ou l’être quand même. Le comportement sur le plateau devient dès lors celui d’êtres humains « véritables ». D’ailleurs, ils utilisent leurs vrais prénoms. La forme narrative tout au long du spectacle conduit le spectateur à se forger une idée, à réfléchir, voire, à participer. En effet, il leur est proposé une assiette de raclette, ou un verre de vin blanc, que certain.e.s dégustent avec plaisir, amusement. L’acteur.trice ne s’identifie plus à son rôle, mais l’illustre à travers sa personne de par ses gestes, ses réactions, ses agissements ou la façon de raconter une histoire, sa propre histoire ou… pas… Là est le mystère ! Est-ce un fantasme ? Une fantaisie ? Du vécu ? Du réel ou du fictif ? Comment définir le vrai du faux ? Tous les sujets et les émotions (mélancolie, joie, enthousiasme…) y passent : amour, amitié, liberté, nostalgie, politique, peurs, angoisses, culture, désir, sexe, les différences physiques, intellectuelles ou culturelles… Yoann, Habib, Clémentine, Romain, Cinter, Pierre, Amandine, Lode et Uiko (tous et toutes plus talentueu.x.ses les un.e.s que les autres) sont libres ! Libres de leurs mouvements, évoluant sur scène selon leurs bons vouloirs, leurs envies, leurs désirs, leurs émotions, prenant même une certaine « distance » avec les personnes présentes dans la salle ou flirtant avec la proximité.
« Why you are here ? » demandent et écrivent les comédien.nes à celles et ceux venu.e.s les observer.
Et vous ? Qu’en dites-vous ? Pourquoi irez-vous, pourquoi y serez-vous ? Car vous irez, n’est-ce pas ? Un spectacle à découvrir, assurément, là où il se jouera à nouveau.
C’est avec « le manque cruel d’être ensemble », sur scène, « dans une salle de théâtre », que le metteur en scène Roussel et les comédien.nes se sont « nourris » pour composer et évoluer au sein de ce spectacle. Magnifiques prestations des actrices/acteurs. Un plaisir de retrouver sur scène Yoann Blanc, ou l’émouvante et incroyable Uiko Watanabe, la sublime et envoûtante voix de Jarmo Reha, ou encore Amandine Laval juste plus vraie que nature. Pour ne citer qu’iels.
Armel Roussel s’inspire pour ce texte des entretiens individuels avec toute la troupe. Mais, au-delà de « l’aspect biographique » précise-t-il, « ce qui l’intéresse est de constituer le terreau de leurs inquiétudes, ce qui les motive, les habite… ». « Ça crée comme des champs où le rapport à l’amour, la solitude, au couple, à l’enfance, à l’enfantement est très présent » confie-t-il au théâtre Les Tanneurs. « Si nous, les artistes, ne pouvons plus représenter le monde, alors qui va le sublimer ? »
EITHER/AFTER, une pièce qui percute, un spectacle pas comme les autres à découvrir.
Remarques : la durée du spectacle est de 2h30, sans entracte ; et pour les âmes « sensibles », la nudité y est présentée.
Julia Garlito Y Romo
(*) Ce spectacle sera monté prochainement par Roussel au théâtre Varia, Bruxelles.
Pour la petite histoire : Deux ans pour créer ce spectacle. Armel Roussel invente une histoire d’amour et un mariage entre deux comédien.nes… qui finit par se réaliser dans la vraie vie… ! Iels ont même un enfant ! Un autre encore, parle de son héritage et du comment le transmettre à de potentiels enfants… deux ans après, lui-même en a un ! Amusant, non ?
Excellents : les comédiens : Habib Ben Tanfous, Yoann Blanc, Romain Cinter, Clémentine Coutant, Pierre Gervais, Amandine Laval, Jarmo Reha, Lode Thiery, Uiko Watanabe. Filmé : Tom Adjibi.
Un projet de (e)Utopia/Armel Roussel en coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs et la Coop asbl
Photo Camille Sultan