Le voyage de Gulliver – Valérie Lesort et Christian Hecq – Théâtre de l’Athénée, Paris, du 11 au 28 janvier 2022
Avec « 20 000 lieues sous les mers », « La mouche » et « Le Bourgeois Gentilhomme », Valérie Lesort et Christian Hecq se sont taillés une solide réputation de metteurs en scène et de marionnettistes fantastiques. Leurs noms seuls suffisent à attirer un public fidèle vers leur nouvelle création. Le voyage de Gulliver est un choix épatant, une adaptation de la satire politique et sociale écrite par Jonathan Swift au XVIIIe siècle qui réjouit aussi bien les adultes que les enfants. L’histoire du grand géant assailli par le petit peuple des lilliputiens est l’occasion de déployer quantité de marionnettes à tête humaine, tandis que les caprices des monarques belliqueux évoquent encore les régimes d’aujourd’hui. L’esthétique de l’ensemble est très réussie, l’humour omniprésent, et le divertissement fait mouche.
Gulliver, chirurgien dans la marine, fait naufrage avec son bateau et la chaloupe de secours. Il échoue sur un territoire inconnu où de petits êtres de 5 pouces (15 cm) l’assaillent pour le faire prisonnier. Commence alors un long séjour où le « géant » se fraie un chemin dans le monde de Lilliput.
Seul Gulliver est de plein pied, vêtu en tenue d’officier de la marine britannique. La scène est une boite noire d’où surgissent des toiles de décor féériques, tandis que les lilliputiens ont des têtes humaines qui surplombent un petit corps de marionnette. Le noir permet d’escamoter les manipulateurs, et de faire apparaître tout un univers merveilleux, à commencer par des oiseaux volants. Le dispositif est astucieux et suscite de nombreuses questions chez les enfants. Tout est minutieusement représenté, les costumes sont très travaillés pour ce petit peuple qui a toutes les manies et les raffinements de la cour d’une grande monarchie.
Dès les premières minutes le rire s’installe devant les lilliputiens qui n’arrivent pas à ligoter Gulliver. Leurs corps, leur manière de se déhancher ou de regarder à droite et à gauche avec de gros yeux prêtent à rire, l’échec de leurs tentatives aussi. Le rire continue avec les élucubrations scientifiques du savant, les caprices du roi et les minauderies de la reine. Le comique est aussi physique que situationnel et verbal. Les fêtes se suivent, sur des chants judicieusement arrangés. Le clou du spectacle est sans doute le numéro de Cachaça chantant «je suis un grain de poivre » en dévoilant ses tenues affriolantes.
Ces monarques qui oublient les services rendus au moindre déplaisir font rire jaune. Gulliver sauve la reine d’un incendie et se voit condamner pour ses méthodes peu orthodoxes, et surtout pour avoir refusé les avances de celle-ci. Les décisions du roi suivent les derniers avis de son entourage, il est totalement influençable. Le paroxysme du ridicule est sans nul doute l’origine de la guerre que se livrent les habitants de Lilliput et leurs voisins de Blefescu : les premiers mangent leurs œufs à la coque par le petit bout, tandis que les seconds défendent une attaque par le gros bout. Petit et gros boutiens s’affrontent depuis des lustres pour imposer leur doctrine respective. La version de Christian Hecq et Valérie Lesort propose un compromis hilarant. La conclusion annonce la relativité de toute chose et préfigure le voyage suivant de Gulliver chez les géants.
« Le voyage de Gulliver » est un conte merveilleux à partager absolument, une création minutieuse et drôle qui parlera à tous quel que soit son âge. A voir.
Emmanuelle Picard