« HEN », D’ÎLES EN AILES JUSQU’AU CIEL

hen-corps-Photo-Christophe-Raynaud-de-Lage

« HEN » – Mise en scène : Johanny Bert – Au Théâtre des Célestins, Lyon, jusqu’au 26 décembre 2021

Elle est, ailée, Helène et la Sainte-Agathe à qui on Arrache les seins pour qu’il lui en Repousse sur les pectoraux, Miss Knife, Brigitte Fontaine, le dieu Priape dont le sexe coupé aussi ambitieux que l’Hydre se fait gigantesque phallus, et dangereuse dynamite surtout quand on l’allume, elle est, il est, beaucoup de choses, obscène, désarticulé-e, le corps qui s’envole à tout va, à vau l’eau, Hen, haut-e en couleurs sur talons hauts, chanteur-se « sans contrefaçon » d’un cabaret sous les néons, tantôt virile glorieuse et sexy, tantôt sapin de Noël boudiné dans costume de guirlande, et squelettique quand s’enlève sa peau, et transparente déshabillée des os ; mais dites, vous avez compris quelque chose ? Si vous n’avez rien saisi c’est tant mieux car il s’agit d’abord de vous saisir, vous, votre attention, en exhibant tout ce qu’a de plus frankenstein la beauté. Le choc esthétique engendré par la disparité des formes et la subversion des registres est le miroir aux alouettes dont use le Théâtre pour se faire remarquer. La marionnette est capable de tout faire, sans muscles ni gymnastique, émerveillant l’Humain qu’elle dépasse sous couvert d’anthropomorphisme. Si la liberté outrancière qu’elle possède (toujours surprenante pour fasciner) suffit à nous attraper dans ses collants et ses filets (comme le papillon son Fils dans sa Lumière), Hen est également la voix derrière laquelle tout peut se dire, en plus de se chanter.

Son corps mobile et caméléon, couleur chair grâce au latex, offre une cachette idéale pour la subversion : la Pythie politique qu’est Johanny Bert s’en sert comme d’un bouclier pour chanter ses slogans veloutés. « Bois mes règles », « tous les trous sont permis », « il suffit d’un auriculaire », « tout est hors contrôle. » Depuis la bouche de ses karaokés, Hen répond avec facétie à l’homophobie encore régnante (d’après une passante, « il faudrait soigner les homosexuel-les ») tout en rappelant avec fierté les droits qu’ont gagné les multiples minorités au fil de leurs combats. (Pourtant, malgré les triomphes législatifs successifs, seul le théâtre assure leur entière protection mensuelle.) Offensif-ve oui, oppressif-ve non : sans étiquette, la marionnette s’adresse à tous-tes, aux zemmourien-nes comme aux queers, armée de son Visage universel et de son corps « utopique » (crâne chauve, perruques de temps à autre, lèvres peintes ou non, il y en a pour tous les goûts et pour toutes les Oreilles : sept compositeur-es ont participé à l’écriture des chansons)

Le vendredi 17 décembre, le spectacle était traduit pour le plus vif plaisir des spectateur-ices en langue des signes, par un certain Vincent (impossible de trouver son nom sur le programme, sans doute écrit en braille). La musique et les chansons ont trouvé par le truchement de ses chorégraphies manuelles un autre Corps, une nouvelle Traduction. Vincent en marionnette de la marionnette apporte au plateau (au même titre que les musiciens et le petit chiot de projecteur bien entendu) une fraîcheur et une sensualité captivante (je n’ai jamais vu un homme aussi beau) A t-il volé la vedette à la Vedette ? Oui, parfois, mais la Vedette a su se défendre sans vendetta, en accordant sa confiance tranquille au public, sans s’indigner de la visibilité de ses manipulateurs exercés au métier de gardes du corps, et saluant régulièrement la présence de son premier miroir (Vincent) aussi libre et authentique qu’elle : c’est que nous savons Reconnaître les stars.

La diva couronnée d’une hélice décapite tous les murs et oscille avec extase entre la vibration et la signification, le geste et la voix, le strip-tease, la transparence politique, la vulve guillotinée et les troupeaux de godmichets, jonglant avec ses 12 Corps de minuit Colorés au possible et placés sous le signe de la fête et de la joie. « Je glisse d’ailes en îles, tel qu’il, telle qu’elle » Les calembours sont à la queue leu leu pour déconstruire avec lubrifiant les normes de genre : la Défense triomphe de tout quand elle est Jouissance et que les corps (autant que la langue dans son palais) se décollent, se décorent en riant, ce qui place le spectacle au-delà de la politique. Hen n’est pas un-e guerrier-e mais une chanteur-se de cabaret, pas de ma faute si les chanteur-ses ont des barrettes en guise d’épées. LA marionnette n’a beau être qu’un symbole, qu’une figure de proue sous laquelle se rallient les minorités, elle rappelle sans cesse que derrière son combat maquillé au viagra existe UNE petite marionnette, toute petite et fêlée, en chien de fusil et au repos dans la boîte en carton où elle n’a pas à décortiquer pour nous tout ce qu’elle Est.

Rien que pour Hen, Hen chantonne : « un jour quelqu’un me serrera tellement fort dans ses bras qu’il recollera tous les Morceaux » et rien que pour vous, je tonne : « le Puzzle vous attend »

Célia Jaillet

Photo C. Raynaud de Lage

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