AUX CELESTINS, UN « MEDEE » AU CORDEAU, MAIS SANS SURPRISE

médée

Médée – D’après Sénèque – Mise en scène : Tommy Milliot – Au Théâtre des Célestins, Lyon du 1er au 11 décembre 2021 

Entre les deux parois rectilignes d’une grotte antique, Médée nous apparaît d’abord comme une ombre. Son visage existe si peu qu’on en vient à se demander, est-ce que c’est vraiment elle ? Lorsqu’elle offre à la lumière quelques-uns de ses traits, ils sont aussi inaccessibles qu’au début, entre les deux parois et les deux rois. Pourtant c’est bien elle, regard froid, lèvres pincées sans l’être, sourcils froncés avec jeunesse. Le mystère qu’elle incarne imperturbablement s’énonce également à travers l’épure des décors et l’immobilité des corps : l’eau coule inlassablement, mais d’où vient-elle et qui la retient ? La stagnation endémique du plateau paraît préfigurer l’impuissance des choses à modifier leur cours. Du sang pour Médée, des larmes pour Jason, et si elles savaient laver le sang, la reine exilée, l’héroïne sanguinaire à l’origine de sa monstrueuse tragédie ne serait pas aussi détruite. « La découverte de la liberté » (Hegel) couplée au désir d’accomplir un destin grandiose mène le serpent devenu femme à égorger d’un geste lent et suspendu la chair de sa chair, ses deux enfants.

« Si un seul suffisait à ma justice, je n’en aurais tué aucun. » Peut-on comprendre ? Le texte de Sénèque, plus que celui d’Euripide nous le permet, en donnant les plus beaux morceaux de la joute à Médée plutôt qu’à Jason qui à côté de la dévoreuse a l’air d’un dindon de farce, à qui les enfants, deux garçons, auraient sans doute fini par ressembler. (A bas les hommes.) Sautant de la rhétorique instrumentale aux aphorismes, de la douleur à la fureur, en dispersant au passage quelques invocations lyriques aux serpents ailés, Médée lucide et résolue emporte l’adhésion du spectateur. (Voilà pourquoi je ne ferais pas d’enfants.) Médée aurait préféré ne pas être Médée, être capable de se détacher d’elle, d’oublier, mais il ne lui restait qu’elle, (“il me reste Médée”) pour finir en beauté dans un monde où le sublime provoque des crises d’angoisses « Cache ta douleur » lui implore t-on mais la royale n’obéit à cette injonction qu’au prétexte qu' »avouer sa haine c’est perdre sa vengeance. » Sa douleur éclate au grand jour et sous toutes les coutures ce qui augmente jusqu’à la démesure l’horreur sublime de l’acte ; elle se permet de souffrir bien plus que tous ceux qu’elle fait souffrir, depuis le visage d’une comédienne au bord de l’implosion.

En somme, une histoire forte portée par une mise en scène qui réconforte, de celle qui sans décontenancer permet de découvrir ou de parachever un texte riche et complexe ; une mise en scène qui se laisse oublier derrière celle qui vit pour ne rien oublier.

Célia Jaillet

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