« Rigoletto » – Opéra de Verdi – Mise en scène Claus Guth – Direction musicale Giacomo Sacrapanti – A l’Opéra Bastille, Paris, jusqu’au 24 novembre 2021.
L’Opéra Bastille reprend Rigoletto dans une version mise en scène par Claus Guth.
L’angle choisi par le metteur en scène est celui d’un flash back où Rigoletto le bouffon revoit ses agissements et leurs conséquences qui ont mené à la mort tragique de sa fille Gilda. Ils sont donc deux Rigoletto sur scène : le premier (Henri Bernard Guizirian) totalement silencieux et accablé par les souvenirs qui ressurgissent sous ses yeux, en ouvrant un vieux carton, tel un mauvais film dont on connait déjà la triste fin et celui qui vit l’action est Ludovic Tézier. On est dans le sublimement triste ou le tristement sublime avec cette histoire de deuil bercé par la superbe composition de Verdi. L’émotion est au rendez vous. Le décor est une boite en carton qui souligne l’effet boite à souvenir qu’ouvre le bouffon en ouverture. Des projections en fond de scène accompagnent cet effet mélancolique mais elles sont un peu superflues car le jeu des deux Rigoletto sur scène suffit largement.
Quel plaisir de retrouver Ludovic Tézier dans le rôle-titre (en 2016, il l’avait déjà joué dans la même mise en scène et dans cette même salle). Le baryton français utilise toute la richesse de sa palette vocale pour proposer de beaux graves riches et posés, peut être un peu trop posés pour être véritablement un bouffon mais il est tellement émouvant dans ce rôle de père qui va voir sa vie dévastée par le destin tragique de son enfant. Le dernier duo où il découvre la mort de sa fille et serre contre lui sa robe ensanglantée est d’une intensité remarquable. La mise en scène souligne l’aspect définitif et tragique de cet instant. Il est largement ovationné par le public de Bastille.
Nadine Sierra est aussi une habituée du rôle de Gilda, sa présence lumineuse et sa voix claire font un saisissant contraste avec les graves profonds de Ludovic Tézier, ils sont d’ailleurs fortement applaudis par le public à l’issu de leur duo du premier acte. La voix éclatante de Nadine Sierra se mêle aussi parfaitement avec celle de Dmitry Korchak, qui incarne le Duc de Mantoue et leur chant de séduction est aussi superbe mais le morceau qui remporte tous les suffrages, c’est le ‘Caro nome’ qui pétille d’aigus légers et virevoltants. Le duc de Mantoue est donc chanté par le ténor Dmitry Korchak qui attaque le premier acte avec une voix puissante qui semble faiblir lors du second acte mais qui reviendra en force au moment de l’aria le plus célèbre de tous les opéras : ‘La donna e mobile’ , la petite surprise de mise en scène qui attend le spectateur à ce moment mérite le détour. D’ailleurs une partie du public sortira de la salle en sifflotant à nouveau cet air si entrainant. La légende raconte que Verdi interdit la diffusion de cet air jusqu’à la première de l’opéra à la Fenice de Venise pour garder l’effet de surprise.
Sparafucile, le tueur est inquiétant à souhait, incarné par Goderdzi Janelidze dont les basses sont très nuancées. Giovanna, la ‘surveillante’ de Gilda, chantée par Cassandre Berthon, est trop effacée, ses interventions sont peu audibles face aux voix qui lui répondent. Monterone est joué par Bagdan Talos et sa malédiction est lancée avec toute l’intensité nécessaire. Giacomo Sacrapanti dirige l’orchestre de l’Opéra avec finesse.
Au final ce Rigoletto est empreint de beaucoup d’émotions et nous l’apprécions pleinement.
Valérie Leah
Photo Nicola Luisetti