« ENTRE CHIEN ET LOUP », LE PRESENT QUI DEBORDE

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«Entre chien et loup» – Christiane Jatahy – A la Comédie de Genève du 2 au 13 octobre 2021, en novembre à Caen, puis à Lyon.

Du théâtre au cinéma ou vice versa, un seul pas n’y suffit pas. C’est pourquoi le théâtre de Christiane Jatahy, même si elle y passe des images filmées, reste pur théâtre. La caméra sur scène, maniée par les acteur.rice.s, joue son propre rôle. Son focus permet au public d’accéder à toute la finesse des expressions des comédien.ne.s, aux détails infimes qui font tout le suc de cette pièce: regards, attitudes, positionnements. Car ce vaste plateau figure toute une communauté. Chez Lars von Trier, c’est un village. Se pourrait-il qu’ici ce soit un pays ? Le nôtre ?

Christiane Jatahy est une metteure en scène et cinéaste brésilienne. Telle une chercheuse en théâtralité, elle explore les domaines interstitiels entre réalité et fiction, entre l’acteur et son personnage, entre la scène et l’écran.

Matthieu Sampeur (vu chez Ostermeier) est Tom, l’intello, le cinéaste, c’est lui qui mène le bal, qui propose le sujet: s’inspirer, sans les répéter, des faits du chef d’oeuvre de Lars von Trier « Dogville ». Il invite sa troupe dans ce jeu qu’il souhaite bienveillant. Il le fait démocratiquement, accepte le vote participatif, est heureux de voir que la règle est acceptée unanimement. Le film sera tourné et le sujet en est l’arrivée inopinée Graça, une jeune étrangère fuyant le fascisme de son pays et cherchant refuge. C’est l’expérience que veut réaliser Tom, une sorte de documentaire sociologique sur l’acceptation.

Un piano sur scène est joué en direct. Les comédien.ne.s filment à tour de rôle. C’est comme si nous assistions à un long plan-séquence se déroulant sur scène, tandis que l’image diffusée sur l’écran du fond de scène nous propulse face aux personnages ou attablé parmi eux. Le regard alterne de la scène à l’écran, le spectateur choisissant lui-même son champ de vision, global ou particulier. Certains passages filmés ont été préenregistrés, mais la plupart sont effectués en direct et travaillés en table de montage directement sur scène.

Comme le titre de l’un des précédents spectacles de Jatahy, c’est le présent qui déborde. Les membres de la communauté, remplis initialement de bons sentiments, ne tardent pas à sentir les tiraillements de leurs egos égratignés par cette pièce rapportée qu’est le personnage de Graça. Celle-ci fait pourtant tout pour aider tout en essayant de ne pas paraître intrusive. Rien n’y fait. L’état d’infériorité dans lequel elle se trouve, sa soumission au groupe, son besoin d’intégration, sa vulnérabilité, tout cela sera utilisé par la communauté entière de la plus abjecte façon. Graça passe d’un régime fasciste institutionnalisé à un fascisme né de l’individualisme, niant l’équité universelle, chacun restant agrippé à son propre intérêt.

L’ensemble de la pièce est formidablement vivant. Le mobilier est déplacé à plusieurs reprises, recomposant différents lieux de rencontre. Les personnages sont simplement habillés de vêtements quotidiens. Ce qui facilite une identification spontanée du spectateur, me semble-t-il. La tragédie que vit Graça est glaçante. Cependant la mise en scène insiste plus sur l’aspect sociologique de son drame que sur un pesant jeu d’acteur.

Le fascisme débarquant en écho à l’insatisfaction collective, l’intérêt individuel placé au-dessus de la morale, l’opportunité de dominer effaçant toute conscience… Comment ne pas reconnaître ici un monde qui tend à devenir le nôtre ?

Culturieuse,
à Lausanne

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