« Meursault contre-enquêtes » – Nicolas Stemann – d’après « Meursault contre-enquête » de Kamel Daoud – Au théâtre de Vidy, Lausanne du 6 au 15.10.2021, en février 2022 à Paris, en avril 2022 à Bastia et Marseille, etc.
En 2013, en Algérie puis en France, Kamel Daoud publie son premier roman « Meursault, contre-enquête » qui revient sur le meurtre de l’Arabe sans nom qu’Albert Camus dépeint dans son livre « L’Étranger » (1942, son premier roman également). Le metteur en scène Nicolas Stemann, utilisant l’écriture de plateau, interroge les différentes perceptions issues de leurs lectures et leurs implications contemporaines.
Dans son livre, Kamel Daoud imagine un frère à l’Arabe anonyme du roman de Camus. Des deux comédiens, l’un joue le rôle d’Haroun (Mounir Margoum), le frère de la victime, dont il nous apprend le nom: Moussa. Le second (Thierry Raynaud), semble incarner la France à lui seul, une France pieds-noirs et post-coloniale, qui se voudrait modèle de fraternité. Ces deux extraordinaires comédiens jouent avec une remarquable intensité, où l’humour reste bien présent malgré la gravité du propos.
Mimant tour à tour l’épisode du crime, chacun tente de s’en approprier l’histoire. Mais qui a le droit d’en parler? Dans un va-et-vient entre réalité et fiction, les deux interprètes découvrent leurs origines respectives et réalisent alors la difficulté de justifier par ascendance leur appartenance algérienne.
Pourtant, témoin de la colonisation et de ses injustices, « Aujourd’hui, M’ma est toujours vivante » insiste Haroun, contrefaisant le célèbre et glacial incipit de L’Etranger: « Aujourd’hui, maman est morte ».
Une scénographie sobre, composée de blocs de ciment, évoque un atelier: la construction comme la démolition, le piédestal sur lequel le livre de Camus est hissé, ou encore la supériorité d’un personnage. Un sac de terre figure aussi bien le mort que la plage où il a disparu. La présence d’un cercueil affirme la pérennité de ceux qui ne sont plus (et de leur successeurs…). Des pages des deux livres, des séquences photographiques d’Alger et des vidéos sont projetées sur le fond blanc du plateau, marquant les scènes de réminiscences et de témoignages, tout comme les séquences musicales.
Mais mieux vaut ne pas trop en dire et laisser le futur spectateur goûter aux multiples subtilités de cette adaptation profonde et émouvante, en tous points réussie.
Cette pièce, basée sur le troisième livre francophone le plus lu (datant pourtant de 1942), résonne avec nombre d’injustices raciales, comme l’absurde procès du Meursault de Camus, accusé de comportement inadéquat plutôt que coupable d’homicide.
Culturieuse,
à Lausanne