LES YEUX ROUGES – adapté du roman autobiographique de Myriam Leroy ; mise en scène : Véronique Dumont, assistée par Sarah Lefèvre ; avec Isabelle Defossé et Vincent Lecuyer – Théâtre De Poche, Bois de la Cambre à Bruxelles – jusqu’au 30 octobre 2021, séances à 20h30.
Longue ovation pour la première de « Les Yeux Rouges »
Une demande d’amitié sur Facebook, un petit message anodin, fan, envie de discuter tout simplement. Elle accepte et… commence un véritable cauchemar. Au début, cet homme plus âgé et marié, est aimable, puis très vite, ses commentaires tournent au vinaigre, à l’acide. Mépris, insultes, harcèlement. Tout y passe. Denis s’en prend au physique de la jeune femme, à sa vie professionnelle et privée. Il publie des articles diffamatoires sur son blog, des vulgarités, des appels au suicide… son suicide à elle !
Au début, la peur des conséquences d’un éventuel blocage sur les réseaux la submerge, puis, n’y tenant plus, la journaliste finit par le faire et bloque Denis de son Facebook. C’est Twitter que l’exécrable personnage, raciste et misogyne, va cette fois utiliser pour continuer à déverser sa haine. Elle va alors avoir recours à la justice, qui ne pourra -ou ne voudra pas- l’aider. Elle voit un médecin, un psychologue avec, tous deux, des analyses thérapeutiques plutôt douteuses. Ici, le duo de comédiens sur scène, est plus que convainquant. On est dans ce sombre cabinet en consultation. Après plusieurs mois de harcèlement, plus personne ne voudra l’écouter, ses amis disent qu’elle exagère, d’autres qu’elle a sans doute provoqué tout cela, son petit ami la traitera d’égoïste et de paranoïaque, coupable de déranger leur vie tranquille.
Isolée, meurtrie, elle tombe malade jusqu’à en avoir… les yeux rouges. Les publications odieuses de Denis sont likées. L’épouvantable harceleur se fait passer pour la victime. Incroyable mais véridique ! Ce « méchant terrifiant » comme le nommera la journaliste va contribuer à lui pourrir la vie. Comment se termine cette histoire ? Rendez-vous au Théâtre De Poche jusqu’au 30/10/21. Séance à 20h30.
Les comédiens : Excellent casting de la metteuse en scène, Véronique Dumont. Remarquable duo : Isabelle Defossé et Vincent Lecuyer. Defossé, émouvante tant elle est habitée par son personnage. Lecuyer parvient à rendre Denis détestable à souhait, répugnant même, les médecins et le psychologue tellement vrais, avec une touche d’humour et de railleries, juste ce qu’il faut. On y croit. On sourit, on est écœuré. Vincent toujours, dans le rôle du Procureur : réalisme des rouages d’une injustice, de non-assistance à personne en danger, brillant.
Une autobiographie, mais pas seulement. Un livre comme thérapie, vers une guérison morale, un cri pour rompre le silence, dénoncer le cyberharcèlement, dire basta, mettre en lumière les rouages d’un système judiciaire défaillant, injuste et méprisant. Myriam Leroy journaliste, écrivaine, mais avant tout une femme dont la voix, le témoignage portent celles de nombreuses femmes, elles aussi, harcelées. Un quotidien, trop souvent ignoré, voire méprisé, pour finir par se retourner contre soi, comme si tout cela était « normal », un « laisser faire » écœurant. Comment peut-on laisser sans suite de telles menaces ? Quelle est la justification pour qu’impunément de tels individus peuvent donner libre cours à leur harcèlement sur la toile et ailleurs sans être inquiétés ? Comment peut-on permettre que l’harceleur parvienne à se faire passer pour victime et la vraie victime considérée comme folle, exagérée ou sujette à l’extrapolation, pire encore, accusée de… provocation ? Qui de vous, Mesdames, n’avez pas déjà vécu cela ? La peur finit par créer un cercle vicieux engendré par la méchanceté banalisée. D’où l’incompréhension ambiante ou tout simplement le refus de voir, de soutenir, de comprendre la femme harcelée. Après une dépression, la souffrance et la solitude, Myriam Leroy a su dépasser cette peur qu’elle nous raconte à travers « les Yeux rouges ».
Journaliste engagée, aux convictions bien définies, prônant la liberté d’expression, l’auteur confie au Poche qu’elle a subi plusieurs harcèlements du genre se chevauchant dans le temps, tant et si bien qu’elle a fini par « somatiser » et cela devient « un problème mystérieux des yeux » … « Refus de voir ? dira le médecin » … Naissance d’un titre : « Les yeux rouges ». Ce texte fort, retrace un vécu, dur, pénible, aux conséquences graves, révélant la forte personnalité de la brillante auteure, Myriam Leroy. Les spectateurs sont touchés en plein cœur, pulvérises de l’intérieur, interpellés par le danger que peut représenter les réseaux sociaux et les innombrables difficultés auxquelles on est confronté dans pareil cas, tant du point de vue administratif que juridico-légal, ou au sein même de notre propre entourage (incompréhension, rejets, reproches, accusations, attitudes méprisantes).
On tombe amoureux de cette belle langue française qui claque, ces consonnes qui s’échouent ; on apprécie la diction. Dans la mise en scène les silences sont prenant. À noter également le côté impersonnel de la victime (jamais on ne cite son nom ou son prénom) ce qui fait de « Les Yeux rouges » une pièce universelle ou chaque femme peut s’y retrouver. Impossible d’y rester insensible. Aujourd’hui, Myriam Leroy « ne s’expose plus en première ligne », « s’est retirée de ses comptes Facebook et Twitter » et « travaille beaucoup plus dans l’ombre, ne montera au créneau que si c’est vraiment nécessaire ».
« Les Yeux Rouges » un spectacle à découvrir absolument ! Un excellent livre, intelligent et surprenant, qui mérite largement sa place dans notre bibliothèque ! « Les yeux rouges » : J’y vais, je recommande et j’en parle !
Julia Garlito Y Romo,
à Bruxelles
Infos : Adaptation théâtrale : Myriam Leroy et Véronique Dumont ; Mise en scène : Véronique Dumont, assistée de Sarah Lefèvre. Comédiens : Isabelle Defossé et Vincent Lecuyer / Composition musicale : Olivier Thomas / Scénographie : Olivier Wiame / Création lumières / Aurélie Perret / Costumes : Odile Dubucq.