Hamlet – Luca Giacomoni – Théâtre Monfort, Paris – du 29 septembre au 9 octobre 2021
Les projets de Luca Giacomoni sont ancrés dans le monde réel et prennent le temps d’associer des acteurs amateurs dont le vécu individuel apporte une nouvelle dimension à la pièce. Après l’Iliade monté en collaboration avec le centre pénitentiaire de Meaux, Les Métamorphoses avec la Maison des femmes de Saint-Denis, le metteur en scène italien a choisi, pour Hamlet, de collaborer avec des personnes ayant eu des expériences dites « psychotiques ». Il resserre la pièce sur l’essentiel, simplifie, tout en gardant des pans entiers du texte d’origine. Sa distribution associe acteurs confirmés comme Valérie Dréville et amateurs. Le spectacle offre un nouveau regard sur la pièce de Shakespeare, avec un univers chaotique où la raison s’égare. Le texte classique reste néanmoins exigeant, et certaines parties sont un peu laborieuses.
Quelques mois après la mort du Roi du Danemark, sa femme Gertrude se remarie avec le frère de celui-ci. Son fils Hamlet désespéré croise le spectre du défunt qui lui révèle avoir été assassiné et lui demande de le venger.
La scène est envahie d’objets. Un piano y occupe une place importante, la musique sur scène est assurément un atout du spectacle. A l’arrivée du public, les acteurs sont tous sur scène, en tenues plutôt sportives, s’échauffant dans des mouvements lancés. Ils resteront sur le plateau pendant toute la représentation, facilitant les changements de scènes, avec une énergie collective soutenue. Ce royaume du Danemark est décidément singulier. Le spectateur est sur le qui vive pour suivre l’action qui est autant portée par celui qui parle que par ceux qui l’écoutent. Luca Giacomoni multiplie les symboles : la terre qui souille, l’eau qui lave, le bâillon qui empêche Gertrude de voir la vraie nature de son nouveau mari… Soit. Ces parallèles littéraux sont un peu lourds et manquent de naturel, le risque de surcharge est bien réel.
Un ver particulier est particulièrement développé (« Le roi passe cette nuit à boire, au milieu de l’orgie et des danses aux contorsions effrontées ») pour illustrer les dérives du Royaume du Danemark. La scène est effrayante, les comédiens se lâchent et l’environnement d’Hamlet est très différent de ce qui est habituellement représenté. Les règles de bienséance habituelles n’ont plus cours et tout bascule. Hamlet évolue dans un monde parallèle, la folie n’est pas que sienne. Dans le rôle principal d’Hamlet, Louis Plesse est très à l’aise. Face à lui, Valérie Dréville est aussi une Gertrude convaincante, même si certaines tirades criées frôlent l’hystérie. La pianiste, Nathalie Morazin, qui est aussi chanteuse, fait partie intégrante du spectacle et entretient la tension avec brio.
La vraie difficulté réside dans le texte, des vers qui ne souffrent pas l’approximation et qui sont difficiles pour les amateurs. Un ton monocorde fait décrocher le spectateur immédiatement, et il est difficile de se rattraper ensuite. Là où la collaboration entre amateurs et professionnels se faisait avec un naturel désarmant sur l’Iliade et les Métamorphoses, la marche est immense pour Shakespeare.
Hamlet est un travail expérimental intéressant, qui apporte une nouvelle lecture du contexte de la pièce, à défaut d’en donner une représentation puissante.
Emmanuelle Picard