« Ça ira (1) fin de Louis » – Joël Pommerat – du 9 au 19 septembre au TNP, Villeurbanne
C’est bientôt la Révolution, dehors le peuple meurt de faim, dans leurs habits dorés la noblesse et le clergé s’en fichent, le tiers état un peu plus bourgeois que prolétarien crée l’Assemblée nationale pour y débattre des lois et le roi Louis fait des sourires à tout le monde depuis son balcon. La trame des événements renvoie clairement à la période révolutionnaire et pourtant « il ne s’agit pas de représenter 1789 » tel que Pommerat l’affirme dans un entretien pour moi. La modernité des costumes, l’usage de micros, puis de musiques, la présence de femmes à l’Assemblée et d’une journaliste espagnole au palais, tout cela renvoie si bien à notre temps qu’on finit vite par retrouver notre actualité arrosée d’opinions variées. Avant tout, la pièce est rythmée par les délibérations de membres disparates siégeant debout aux Assemblées, représentants d’un peuple dont la foule n’apparaît que par bribes, et dont le brouhaha lointain est recouvert par le débahaha. Est-ce que ce peuple nous ressemble ? Devrait-il voter ? Saurait-il comment réagir face aux nouveaux privilèges et droits qu’on pourrait lui conférer ? D’accord, prenons cet idéal politique d’égalité entre tous les hommes, justifie t-il pour autant l’humiliation verbale, la violence physique, et le meurtre de ceux qui y sont opposés ? Le peuple devrait-il se venger de la violence qu’on lui a fait subir ?
Dans la salle, parmi le public, l’Assemblée se divise en deux rives, les mains se lèvent pour soutenir ou calomnier les orateurs présents sur scène qui déclament leurs solutions miracles avec un panache qui les rend toujours attrayantes. Les réponses se font à toutes les sauces, il y en a pour tout les goûts, qu’on soit extrémiste, idéaliste, propriétaire, royaliste, conservateur, révolté, pauvre, le peuple a beau dire dans la pièce « vous êtes déconnectés de la réalité, on ne se sent pas représentés » sur scène s’incarnent énormément de couches de la société dans lesquelles on retrouve nos pensées. Mais à quoi ça sert de venir écouter leurs rhétoriques convaincues, leurs intelligences désespérées si en sortant du théâtre on se retrouve tous confortés dans nos petites idées politiques, si le banquier autant que l’anarchiste pense que la pièce a été jouée pour lui ?
On ne vire pas de bord, on ne change pas de rive, mais on assiste sans longue vue au passage des cris au débat, et des débats aux dérives. Comment créer un espace de neutralité où peuvent venir s’exprimer sans exception toutes les idées ? Pommerat explique s’être débarrassé des personnages historiques pour ne s’inspirer que de leurs principes, convictions et arguments. Les anonymes dépourvus de passé peuvent au théâtre porter une parole politique sur laquelle ne se greffe aucun préjugé. Ils sont tous beaux, même quand ils disent des horreurs. Le risque, c’est de « prendre trop vite parti » dit Pommerat, est-ce que ça veut dire qu’il faut être convaincu par tous les discours ? On voit certains députés prendre de nouveaux caps, de nouveaux risques, comme déjà les comédiens changeaient de visages pour appréhender singulièrement chaque personnage. Et nous-mêmes sommes ces idiots glissant le bulletin dans l’urne sur un coup d’éclat publicitaire à la télévision, sans vraiment savoir pourquoi Lui plutôt que Louis, nous applaudissons l’entrée du roi sur « The final countdown », applaudissons les discours de Madame Lefranc qui est son opposante, applaudissons pour lui couper la parole quand un autre membre décide de la trouver excessive, ou alors nous n’applaudissons pas du tout et dans tous les cas nous savons pas grand chose.
C’est une pièce sur le débat et pourtant en sortant on ne sait toujours pas si dans le cadre d’un débat on le droit ou pas de couper une parole quand elle s’étire et nous ennuie, d’occuper un espace illégal, d’insulter, de se battre, de mentir, de retourner sa veste ou de verser de la farine et des confettis sur les cheveux d’une députée pince sans rire, parce que le débat ou le combat ou le salon de thé est mené par un monde pétri de paradoxes, dans lequel le peuple câline, tutoie et guillotine le roi, la reine dit que son fils est mort sans se soucier de tous les autres enfants morts pendant que Madame Lefranc derrière son engagement absolu en faveur du peuple s’avère riche. L’ironie tragique à la fin, « ça ira », nous met un sourire étrange au visage, on voudrait mettre en garde le roi, aider l’Assemblée, tabasser le clergé, pour que les choses qui vont arriver soient plus humaines mais au fond ce qu’on voudrait c’est qu’un spectateur de l’avenir nous dicte à l’oreille la marche à suivre pour que les choses qui vont nous arriver soient les nôtres.
Célia Jaillet