A LA ROQUE D’ANTHERON, DAVID KADOUCH MAGNIFIE « MADAME BOVARY »

David-Kadouch

Retour sur le Festival International de Piano de la Roque d’Anthéron 2021 – Récital de piano du 16 août 2021 à 21h00 « Madame Bovary » – Interprète : David Kadouch

Lors de cette triste année 2020 qui vit tant d’annulations de festivals, l’équipe du Festival International de la Roque d’Anthéron n’avait pas baissé les bras et avait su proposer un festival au format réduit, un véritable exploit et un souffle d’oxygène dans le désert culturel de cet été pas comme les autres au cours duquel la plupart des artistes restèrent muets. Une frustration tout de même, en particulier pour cette année Beethoven que l’on attendait tant.

En cet été 2021, malgré les contraintes sanitaires qui pèsent toujours sur le spectacle vivant, le Festival, recentré en grande partie sur ce qui reste son cœur et son âme, le Parc du château de Florans, retrouve sa dimension internationale au plus haut niveau et sa pluralité avec la programmation de 76 concerts où se croisent stars et nouveaux talents du clavier, ensembles de musique de chambre et orchestres symphoniques.

Après une période de canicule éprouvante, ces moments où seules les cigales conservent toute leur énergie, quel bonheur de retrouver en cette soirée du 16 août les frondaisons du Parc, ses séquoias géants, cet oasis de verdure au cœur d’une Provence desséchée qui a soif d’eau et de fraîcheur ! Une fraîcheur inhérente au lieu, confortée ce soir-là par un léger mistral qui réveille les corps et les sens et un besoin presque physiologique de musique.

Mais cette journée du 16 août est particulière. Intitulée « Regards de femmes », elle met en lumière onze femmes compositrices, injustement oubliées – sans doute de par leur condition de femmes – au travers de trois concerts, dont celui de David Kadouch qui propose une rencontre entre la littérature et la musique sur le thème de « Madame Bovary », en hommage à Gustave Flaubert pour le bicentenaire de sa mort. Une belle rencontre que David Kadouch commente en préalable de son interprétation pour exprimer son ressenti sur les échos et les liens qui peuvent transparaître entre les œuvres qu’il nous propose au piano et la vie tumultueuse d’Emma Bovary, ses amours, sa quête du sens de l’existence. Une femme complexe dont les états d’âme et les sentiments, tellement humains et universels, ont été largement exprimés par nombre d’œuvres musicales du XIXème siècle.

Le programme proposé par David Kadouch s’articule en grande partie autour des œuvres de Fanny Mendelssohn, la sœur aînée de Felix, à qui le père avait écrit : « la musique deviendra peut-être pour lui (Felix) son métier alors que pour toi elle doit seulement rester un agrément » – une phrase qui justifie à elle seule cette journée.

Extraits de l’œuvre pour piano de Fanny Mendelssohn « Das Jahr » qui se compose de 12 mouvements consacrés chacun à un mois de l’année, David Kadouch interprète « Mai », le mois du mariage d’Emma, un allegro vivace plein de fraîcheur printanière et de bonheur à venir. Le mouvement « Septembre » évoque le mois du grand bal qui révéla à Emma de nouveaux horizons. Suivent « juin » – tour à tour mélancolique et éperdu –, un nocturne et enfin « mars », le dernier mois d’Emma, un mouvement tourmenté, plein d’allégresse – l’interprète évoque une sorte d’alléluia à la gloire d’Emma Bovary.

Puis viennent des variations de Clara Schumann, une sérénade de Pauline Viardot chargée d’émotion et de nostalgie qui semble faire écho aux états d’âme de l’héroïne de Flaubert. Enfin on retiendra surtout « Air russe varié » de Louise Farrenc – une féministe avant l’heure –, un morceau nuancé qui passe de la mélancolie à une allégresse passionnée et que David Kadouch nous offre avec enthousiasme et virtuosité.

Ce programme féminin, pour ne pas dire féministe, est judicieusement complété par des œuvres de compositeurs masculins comme des nocturnes de Chopin, la « valse lente » de « Coppélia » de Léo Delibes interprétée avec finesse et légèreté ou les « réminiscences de Lucia di Lammermoor » de Franz Liszt en référence à cet opéra qu’Emma et Charles Bovary étaient allés écouter à l’opéra de Rouen.

David Kadouch, dans cet éclairage musical du récit de Flaubert, réussit pleinement cette rencontre entre la littérature et la musique d’une époque où la femme n’avait pas sa place dans les milieux artistiques – comme dans bien d’autres domaines d’ailleurs – en rendant hommage à Emma Bovary et à ces femmes compositrices dont l’œuvre est souvent et injustement oubliée. Il semble heureusement que dans ce domaine de nombreuses découvertes soient encore devant nous.

Jean-Louis Blanc
envoyé spécial à La Roque d’Anthéron

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s