CHOREGIES D’ORANGE : UNE « NUIT VERDIENNE » BENIE DES DIEUX !

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Chorégies d’Orange 2021. « Nuit Verdienne » – Spectacle donné le 24 juillet 2021 dans le Théâtre Antique d’Orange – Direction musicale : Konstantin Tchoudovski à la tête de l’Orchestre National de Lyon – Ténor : Roberto Alagna – Baryton : Ludovic Tézier – Basse : Ildar Abdrazakov.

Jean-Louis Grinda a décidément plus d’une corde à son arc. Après l’annulation pour cause sanitaire de la « Nuit italienne » par la Scala de Milan qui devait se produire ce soir à Orange, un spectacle de remplacement a dû être monté au pied levé. Mais si faire appel au banc des remplaçants est souvent frustrant, nous avons affaire ici à un remplacement de luxe qui ne peut que combler les amateurs d’Art lyrique et effacer les rancœurs des fidèles des Chorégies qui regrettaient l’absence d’un deuxième opéra dans le programme de cette saison.

Ici pas de décor ni de mise en scène, seules les voix et la musique sont là, c’est-à-dire l’essence même de l’opéra. La présentation est sobre et élégante, un plateau nu en bois brut surmonte la demi-lune dorée de l’orchestre et le mur, mis en valeur par des éclairages rasants aux couleurs changeantes, sert d’écrin aux chanteurs qui s’emparent de cet immense espace par leur présence et leur talent.

Et, il faut le dire, cette « Nuit verdienne », évidemment consacrée à l’œuvre lyrique de Verdi, constitue un évènement majeur dans le monde lyrique. Il s’agit tout simplement de réunir un plateau de rêve, de produire une rencontre inespérée entre trois immenses stars de l’opéra au zénith de leur Art : Roberto Alagna, ténor, un fidèle d’Orange qu’on ne présente plus, le baryton Ludovic Tézier et la basse Ildar Abdrazakov. Des tessitures qui couvrent sans doute la totalité des rôles masculins de l’œuvre lyrique de Verdi que nous redécouvrons dans un programme éclectique et exigeant.

Un programme qui développe toutes les facettes de l’œuvre du compositeur, allant de son premier opéra « Oberto, conte de San Bonifacio » (1839) à « Don Carlo » (1867). Programme qui écarte cependant les œuvres dites de la maturité – Otello et Falstaff – ainsi que les « tubes » si souvent entendus aux Chorégies. Donc pas de « Donna e mobile » ni de trompettes de « Aïda » mais plutôt un accent mis sur les rôles dramatiques. On retrouve tout de même avec beaucoup de bonheur l’air « cortigiani vil razza dannata » de Rigoletto que Ludovic Tézier interprète avec profondeur avec des « Pietà signori » déchirants pour qu’on lui rende sa fille et un « Pietà ! » final bouleversant qui s’étire à l’infini, qui monte vers le ciel.

Dès le début du spectacle, après l’ouverture de « La forza del destino », forte de ses thèmes on ne peut plus émouvants qui sont dans toutes les têtes, c’est Roberto Alagna qui ouvre le bal avec « La vita e inferno all’infelice » de ce même opéra, cet air chargé de nostalgie et de désespoir. On retrouve cette voix limpide, assurée, à la diction parfaite qui a illuminée nombre de soirées des Chorégies et qui prend d’emblée possession de la cavea. Ludovic Tézier le rejoint bientôt pour nous offrir avec maestria le magnifique et poignant duo « Solenne in quest’ora ».

Puis, c’est au tour d’Ildar Abdrazakov, cette extraordinaire basse russe que découvre le public d’Orange, d’interpréter « Ei tarda ancor ! L’orror del tradimento » de cet opéra peu connu « Oberto, conte di San Bonifacio » avec sa voix à la fois imposante et raffinée qui empoigne le public et envahit la cavea par son ampleur.

S’ensuivent une succession de soli et de duos d’opéras plus ou moins connus du grand public – Attila, Don Carlo, Luisa Miller, Ernani – exécutés avec maestria, des airs chargés d’une forte intensité dramatique pour la plupart et qui procurent bien des émotions.

Enfin, en point d’orgue de cette soirée, le fameux duo Carlo-Rodrigo « E lui ! …. desso ! … l’Infante ! » de « Don Carlo », cet air chargé de compassion et d’amitié fidèle, un hymne à la liberté. Une rencontre complice et fraternelle entre Roberto Alagna et Ludovic Tézier.

Il faut maintenant parler du quatrième homme, pour ne pas dire l’essentiel, que découvre également le public d’Orange, Konstantin Tchoudovski, qui dirige – sans partition, un exploit en soi – , avec la fougue de sa jeunesse et dans une gestuelle passionnée et romantique, l’Orchestre National de Lyon. Un orchestre au plus haut niveau qui a déjà fait ses preuves aux Chorégies dans « Il barbiere di Siviglia » en 2018 et dans « Don Giovanni » en 2019 dans des styles bien différents.

Le programme fait la part belle à l’orchestre qui interprète des extraits orchestraux d’opéras – ouvertures, préludes –, lui donnant l’opportunité d’apparaître sous ses différentes facettes. On retiendra en particulier le raffinement et la délicatesse du violon solo dans le prélude de l’acte III de « I Lombardo » qui rompt avec la tonalité dramatique du programme et l’ouverture des « Vêpres siciliennes » qui associe les moments les plus subtils à des passages de bravoure aux cuivres éclatants.

Après ces magnifiques moments de tension dramatique, nos trois compères nous offrent en rappel quelques moments de détente dans un « hors-programme » plus léger et populaire. Ludovic Tézier nous offre « La quête », l’air bien connu du « Don Quichotte » de Jacques Brel à qui il confère toutes ses lettres de noblesse dans une interprétation de « grand opéra ». Dans la foulée Ildar Abdrazakov se souvient du pays en nous plongeant dans le folklore russe avec « Les yeux noirs », ce chant d’amour d’une passion toute slave que tout le monde peut fredonner. C’est enfin le tour de Roberto Alagna qui, lui aussi, fait honneur à ses origines et qui, un peu en maître de cérémonie avec son charisme habituel, entonne la célèbre chanson napolitaine « Funiculi funicula » qui enflamme le public.

Ce sont là des moments rares ! Il fallait être là en cette douce soirée d’été, oubliée par le Mistral et bénie des dieux. Et ce soir-là … les dieux étaient sur scène !

Jean-Louis Blanc

Photo Gromelle / Chorégies d’Orange

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