« PUPO DI ZUCCHERO – LA FESTA DEI MORTI », UNE FÊTE DES MORTS TERRIBLEMENT VIVANTE

PUPO DI ZUCCHERO - LA FESTA DEI MORTI - LA STATUETTE DE SUCRE

75e FESTIVAL D’AVIGNON ». « PUPO DI ZUCCHERO – LA FESTA DEI MORTI » (LA STATUETTE DE SUCRE – LA FÊTE DES MORTS) – Emma Dante – Gymnase du Lycée Mistral les 16 – 19 /07 et 21 – 23/07 – durée 1h30.

Un vieil homme, seul, veille patiemment sur une boule de pâte qui lève. Il est tard, il somnole et s’assoupit. Nous sommes au seuil de la nuit, la veille du deux novembre, le jour des morts. Cette nuit les morts de la famille vont revenir et il s’agit de préparer le plat traditionnel pour les honorer et les accueillir comme il se doit, un petit mannequin de sucre.

La nuit avance, les morts de la famille, immobiles, entourent le vieillard endormi et les souvenirs prennent forme, les âmes prennent corps et entrent en mouvement. Le « pupo di zucchero », magnifique pantin de farine et de sucre chamarré, est prêt et la fête peut commencer pour célébrer ces exceptionnelles et éphémères retrouvailles.

Le vieil homme retrouve la verve de sa jeunesse et revit avec les siens tous ces moments qui ont marqué sa vie. On retrouve les folies et l’enthousiasme de la jeunesse au travers des trois sœurs, pleines de fraîcheur et de gaité, qu’il a dû tant aimer mais qui meurent du typhus au seuil de leur vie d’adulte. On revit des moments de liesse, de bonheur, mais de bonheur toujours éphémère. La mère a attendu des années le retour du père, un marin qui n’est jamais revenu. Heureusement il y a le fils adoptif, un peu trublion mais plein de joie de vivre. Et puis il y a ce souvenir lancinant, traumatisant, ce mal qui entache les familles et que souvent l’on tait, un homme qui violente sa femme en lui criant tout son amour, une scène récurrente qui a sans aucun doute marqué le vieil homme qui répète, pensif, « Ce n’est pas ça l’amour ! ».

Enfin les souvenirs semblent s’entremêler et s’estomper dans la tête du vieil homme. Les personnages se figent et apparaissent lentement en portant comme une ombre leur double, des cadavres décharnés, sortes de momies squelettiques, les unes aux visages torturés par la douleur, les autres aux visages sereins dans leur éternel sommeil ou souriant à la mort. Puis ces horribles pantins – une dizaine dont une enfant – sont suspendus, inanimés, dans une macabre installation autour du vieil homme endormi.

Emma Dante nous offre ici un spectacle raffiné qui réveille en soi de fortes émotions pour peu que l’on ait perdu un jour un être cher. Dans une mise en scène inspirée tour à tour jubilatoire, poétique ou sombre, les souvenirs de toute une vie semblent s’égrener avec ses moments de bonheur, ses jours de fête et ses drames. La beauté n’est jamais absente, en particulier au travers de magnifiques clairs obscurs, du mouvement des corps ou de la fluidité de la mise en scène. Enfin il y a cette œuvre remarquable du sculpteur Cesare Inzerillo, ces terribles corps embaumés, sinistres et fascinants, qui dégagent une étrange et mystérieuse beauté.

A notre époque matérialiste où il faut positiver, ignorer voire vaincre la mort, où la nostalgie n’est pas de mise, où la période de Toussaint n’est plus synonyme que de vacances ou de festivités, Emma Dante nous offre cette splendide évocation du jour des morts. Ce moment privilégié où, devant une tombe, une simple photo ou un vieil objet, les souvenirs prennent corps, où l’on peut raconter des anecdotes aux enfants qui leur rendent plus familières ces mystérieuses personnes disparues qui ont forgé leur famille. Un jour de mémoire qui avive en nous l’âme des disparus et ce qu’ils nous ont laissé, car si l’âme existe, ce sont bien la mémoire et les souvenirs des vivants qui en sont la substance.

Jean-Louis Blanc

Photos Christophe Raynaud de Lage / DR

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s