
Nous paraphrasons ainsi le titre du papier publié par notre confrère Sceneweb, répercutant le communiqué de presse d’un collectif d’artistes circassiens à propos de cette « affaire » Bourgeois qui secoue le monde de la culture et les réseaux sociaux depuis plusieurs mois.
Au coeur du sujet, un artiste du Cirque contemporain adulé, promu directeur d’un centre chorégraphique national, dont le « travail » visiblement « s’inspire » de beaucoup d’oeuvres de ses confrères circassiens, ceux-ci l’accusant de les piller sans vergogne.
Hélas pour le directeur de la scène chorégraphique de Grenoble, les faits sont têtus et sans doute irrévocables. Une petite vidéo circule sur le web qui paraît témoigner de cet acte sauvage de pillage délibéré, évidemment contesté par M. Bourgeois lui-même qui se répand dans la presse en de fumeuses justifications « artistiques » qui ne convainquent personne, pas même les plus ouverts aux pratiques disruptives des artistes les plus innovants, comme nous le sommes nous-mêmes.
Les faits : ce monsieur, par ailleurs directeur d’une scène à agrément national, invité comme « artiste » par ses confrères dans toutes les salles labellisées par un état centralisé qui sait si bien se concerter pour programmer les mêmes artistes dans les mêmes lieux de la « création » nationale qu’il labellise lui-même, ce monsieur donc, soutenu sans ciller par les institutions et le ministère, se trouve confronté à la bronca de ses pairs artistes du Cirque contemporain qui l’accusent de les avoir pillés effrontément.
En quoi la vidéo édifiante que vous retrouverez ci-dessous, déjà amplement diffusée depuis plusieurs mois sur les réseaux sans conteste du premier concerné ni visiblement de la justice, semble porter crédit à ces accusations graves, dont M. Bourgeois se défend en avançant des arguties « artistiques » qui sont censées justifier son appropriation du travail de ses pairs.
Ainsi, pour sa défense, M. Bourgeois argue que l’Histoire de l’Art est truffée d’emprunts plus ou moins délibérés aux grands maîtres, aux thèmes et récurrences de la représentation artistique. Il n’a pas tort, car comme chacun le sait dans l’Histoire de l’Art occidental, il est d’usage depuis au moins la Renaissance (mais on peut remonter à l’Art statuaire grec ou romain) de faire référence à ce qui a précédé et aux artistes et oeuvres des époques antérieures. De même que l’Art contemporain s’est construit dès son invention sur l’appropriation -distanciée- du travail des autres : les « Ready Made » de Marcel Duchamp en constituent un manifeste éclairant, mais plus proches de nous les oeuvres d’Andy Warhol ou de Sherrie Levine en sont des exemples significatifs…
Sauf que M. Bourgeois évite soigneusement dans ses pitoyables tentatives d’auto-justification de préciser que tous ces artistes n’ont jamais usurpé l’oeuvre des autres -pas plus que Le Greco ou Picasso, pourtant friands d’emprunts à l’histoire de la peinture, ne l’ont fait d’ailleurs- mais dans un acte affirmé de plagiat assumé (dans le cas de Levine, en fait de « reproduction ») -ou a minima de référence- ont simplement rendu hommage à l’oeuvre d’un artiste, qu’ils ont toujours scrupuleusement cité comme auteur-source. De toute évidence, ce pauvre M. Bourgeois n’a visiblement ni la culture ni les références intellectuelles qu’il conviendrait de posséder pour soutenir solidement ce qu’il avance.
Du coup, les arguments de M. Bourgeois, artiste auto-proclamé de « l’usage » des oeuvres « empruntées » à des artistes bien moins médiatisés et soutenus qu’il ne l’est -« emprunts » non consentis par les intéressés, non cités ou non sourcés, appropriations qu’il ose sans ciller qualifier de « motifs » (nous on appelle cela un dol pur et simple)- ces justifications hors-sol sont juste l’expression d’un cynisme, d’une malhonnêteté intellectuelle et d’un mépris de ses pairs absolus.
En réalité, M. Bourgeois, chantre du « déséquilibre », cette marque « signature » qu’il a su imposer au sein de la corporation des prescripteurs culturels, est lui-même confronté -doux retour de boomerang- à l’effet culbuto qui in fine le fait vaciller et le fera chuter, sans filet cette fois. Un bien bel objet de réflexion sur le sens même de sa démarche initiale d’artiste du basculement… Mais ceci le regarde seul, en tant qu’homme, en tant que créateur.
De fait, comme le dénoncent à juste titre les signataires de la tribune ci-dessous, l’appropriation sans foi ni loi du travail des autres, comme l’arrogance et le déni dont fait montre M. Bourgeois -avec le soutien indéfectible des institutions et programmateurs des CDN, CCN et autres Scènes nationales dont il bénéficie et qui, depuis la révélation de ce rapt de la pensée créatrice, ne se sont toujours pas manifestés- nous persuadent qu’il convient maintenant d’en finir avec Yoann Bourgeois.
Marc Roudier
Voici le communiqué en question, appel à signatures :
« Depuis le mois de février et la publication d’une vidéo intitulée “L’usage des œuvres”, traitant des ressemblances entre le travail de Yoann Bourgeois et celui de sept autres auteur·es, une partie des acteur·rices du spectacle vivant retient son souffle devant les révélations qui sortent au gré des enquêtes journalistiques [Sceneweb, Libération, Le Monde, Le Temps] ou de témoignages éclairants sur les réseaux sociaux [entre autres indispensables celui de Chloé Moglia, et celui du Collectif petit travers].
Cette vidéo peut être perçue comme une calomnie anonyme, mais aussi comme un travail de documentation méticuleux et un signal d’alerte, lancé en dernier recours après des années de doutes, de soupçons et d’histoires qui se répètent. Elle révèle un système : celui de l’appropriation par une seule personne d’un ensemble de fragments d’œuvres, de séquences, aux dépens de toute une communauté. Aucun plagiat n’est assumé par Yoann Bourgeois : le système qu’il défend pour s’affranchir de toute responsabilité juridique comme morale consiste à jouer de la frontière parfois ténue entre les idées (de libre circulation) et leur concrétisation en œuvres (intrinsèquement protégées par le droit d’auteur).
Par la masse de son activité et sa sur-exposition médiatique Yoann Bourgeois – en faisant de ces matières sa signature, son identité – a fini par écraser ses pairs et les déposséder de leur propre travail. L’usage et l’éthique veulent que lorsqu’un·e auteur·e souhaite utiliser une musique, un texte, une image, une vidéo ou une autre œuvre pré-existante dans une création originale, cette utilisation est déclarée, soumise à un accord, et les auteur·es concerné·es perçoivent des droits. Par un glissement sémantique, en qualifiant le travail des autres de “motif”, Yoann Bourgeois s’arroge le droit de l’utiliser comme si c’était le sien, sans accord ni rétribution, en leur déniant même leur qualité d’auteur·e. Par ce principe il méprise l’éthique de la création, ainsi que la loi.
Les réponses de Yoann Bourgeois dans Artcena et Le Petit Bulletin Grenoble montrent une ligne de défense dans le déni, inflexible, surplombante, usant de procédés rhétoriques malhonnêtes [cf publication Adrien Mondot] et en total décalage avec la réalité manifeste de sa pratique révélée par la vidéo.
Le silence des institutions est éloquent : ni la DGCA, ni la DRAC, ni la Ville de Grenoble n’ont souhaité apporter de commentaires, pas plus que les lieux qui l’ont programmé. Les réactions des autres institutions sont tout en prudence et semblent s’extraire de toute forme de responsabilité [communiqué de territoire de cirque], en s’abstenant d’aborder le fond du problème.
Ce silence a trop duré : il devient un message, il signifie qu’il n’y a pas de problème. Il signifie que Yoann Bourgeois peut poursuivre quelle qu’en soit la violence, son processus “de l’usage des œuvres” (des autres), sans que ni sa réputation, ni son parcours n’en souffrent, voire même qu’il soit présenté comme un “modèle” de réussite, ce qui pour nous – et les générations qui suivront – serait parfaitement intolérable. Nous nous inquiétons de ce que sa position dans le paysage institutionnel suppose d’inévitables rapports de force. Comment les artistes peuvent-ils garder leur liberté de parole et de création si la confiance est rompue ?
Nous voulons interpeller celles et ceux qui soutiennent Yoann Bourgeois, en le subventionnant ou en le programmant. Nous leur demandons une prise de position. Nous ne pouvons pas attendre les verdicts d’éventuels procès dont nous ne savons pas s’ils auront lieu. Nous ne voulons pas que le préjudice qui atteint toute une profession s’éteigne dans l’indifférence.
Certain·es artistes ne pourront plus aller chercher le soutien du CCN de Grenoble car, aller voir son directeur pour lui présenter les idées de leur prochain spectacle, comporte désormais le risque de finir transformé en “motif“. Yoann Bourgeois ne peut pas continuer au CCN de Grenoble avec l’aval de l’État et des collectivités territoriales. Que penser d’une institution chorégraphique, l’une des plus importantes en France, dont la première mission est la création, qui aurait à sa tête un directeur qui traite ainsi les créations des autres ?
Pour signer cet appel écrire un mail à signature-appel@privacyrequired.com en précisant Prénom Nom, et fonction. »
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Photo by JOEL SAGET / AFP