» OCCUPONS, OCCUPONS  » : BIEN DORMIR…

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 » OCCUPONS, OCCUPONS  » : PETIT TOUR DE LIEUX CULTURELS  » OCCUPES « … ET RETOUR D’EXPERIENCE.

Nantes. J’ai toujours adoré dormir dans les théâtres, surtout les nationaux, ceux surgis dans les temps immémoriaux où l’on s’étripait allègrement au moment des saluts pour trois alexandrins de désaccord, ceux aux fauteuils de velours confortables, aux couleurs chaudes, vert amande, bleu pâle, ou d’un rouge profond, et dont la masse de dorure qui décore les murs, confère le côté respectable qui sied au sommeil. Alors, lorsque le mouvement d’occupation des théâtres a commencé, je n’ai pas hésité une seule seconde.

Le Théâtre Graslin, Opéra de Nantes est une belle bâtisse plantée entre la rue Scribe et la rue Molière, j’ai failli ne pas y dormir, trahie par ma carte de presse. À neuf heures du soir, quatre costauds voulaient me jeter dehors et je m’en suis tirée qu’à la condition expresse que je n’écrirai pas sur l’Ag à laquelle je venais d’assister. Dont acte. Après une discussion au bar de l’opéra transformé en cantine, avec un guitariste qui me raconta d’un peu près ses aventures chiliennes, j’attrapais un matelas, une couverture de survie, et trouvais une loge à la bonne taille, la numéro 40 au niveau du parterre. Le guitariste avait rejoint la scène et jouaient des chansons populaires que tout le monde connaît, façon marchand de sable. La salle entière loge par loge tomba dans les bras à rallonge d’une Morphée aussi patronne des arts et des artistes, intermittents, précaires et intérimaires venus se blottir sous sa protection.

Le lendemain je discutais avec la militante de la CGT qui encadre la lutte, en balayant les mégots sur le perron de l’opéra dont tous se sentent responsables, elle me lança :  » On occupe pour gagner, le capitalisme tue tous les jours rien qu’avec la pollution. Nous menons aussi une réflexion sur l’écologie, nous voulons continuer de jouer avec l’ambition de la solidarité, dans les quartiers populaires et les zones rurales, nous avons créé des Amaps artistiques qui fonctionnent bien avec des petites formes, voir le site  » Ouvrir l’Horizon ”. Nous continuons à chercher de l’argent public car la culture est un bien commun et un service public. Et nous nous battons pour l’accès à la création pour tous”.

Brest. Je n’y ai pas dormi, peut être que l’architecture du lieu était moins accueillante, malgré la moquette double épaisseur. C’était au début du mouvement, la veille une manifestation avait réuni 400 personnes mais seuls trente restaient à occuper le théâtre, tous des hommes, sauf une femme, techniciens du secteur privé pour la plupart. Ce que j’ai entendu là m’a vraiment touchée. Ces gens qui occupent le Quartz n’ont pas travaillé depuis un an et sont en fin de droits, ils ont des enfants, des maisons, des crédits. Celui qui m’explique cela a un masque sur la figure, je ne vois que ses mains avec lesquelles il s’exprime qui sculptent l’espace. Des mains rouges de travailleur. “ On attend les artistes et les étudiants  » me dit-il . Il faut espérer qu’ils soient venus depuis…

Rennes. Les lieux de culture sont comme de grandes maisons, il faut pouvoir y manger, y dormir, y rencontrer les autres. Occuper les théâtres du centre ville est une tache délicate et importante. À Rennes ville étudiante, c’est toute une jeunesse qui fait front. Aujourd’hui la manifestation venant de Villejean s’est faite disperser poliment par la police verbalisant mais s’est quand même terminée par une danse collective sur de la musique disco hurlant d’une des fenêtres de l’opéra. A l’intérieur on s’active, AG deux fois par jour, préparations d’Agoras, compte rendus, affiches. L’ambiance est joyeuse, fraternelle, chacun met en commun son savoir et ses compétences. Les artistes précaires et intermittents ont bien conscience des enjeux de leur geste. Il ne s’agit pas de rouler uniquement pour leur pré-carré mais aussi de ressusciter, dans la France entière, le débat qui lui a été confisqué par les « médias aux ordres », reconquérir la fête qui lui a été dérobée, balayer cette peur qui lui a été insufflée au fil des jours par une propagande honteuse, et retrouver le contact humain, simple et chaleureux, le plaisir de l’impromptu, de créer ensemble et de faire avancer des causes aussi simples que celles d’œuvrer pour que dans une société d’abondance, plus personne n’ait faim. De briser les incohérences et les abus des règles d’une dictature sanitaire savamment orchestrée pour faire passer les lois les plus répressives, laissant le pays opprimé sans défense aucune. Se battre collectivement pour rester vivants. Il fallait bien que ça arrive.

Paris, Théâtre de l’Odeon. Les lieux ont une mémoire, une mémoire que nous percevons et qui nous change imperceptiblement. A l’Odeon je m’imprègne de son illustre passé, de la beauté de ses sculptures antiques, ses dorures, du beige rose de ses colonnes en faux marbre.

L’Odeon est un lieu chargé qui a toujours accueilli en son sein des foules déchaînées et des réunions houleuses. Dans la grande salle, Christophe Honoré répète un spectacle dont il prssent qu’il ne sera pas joué. Pendant qu’en Ag, à l’intérieur du foyer, nous discutons de la suite. En quinze jours d’occupation, il sera venu une fois, matérialisant deux univers parallèles.

La lutte des classes est partout même chez les artistes.

Parmi les occupants de l’Odeon il y a autant d’hommes que de femmes et des gens de tous les âges, je rencontre un couple de gilets jaunes, lui est journaliste, il me fait tâter au travers de sa chevelure dense, le trou dans la boîte crânienne que lui a fait la police. Je décide de passer sous silence la vraie raison de ma visite ici.

Ce qui caractérise le lieu c’est l’organisation et l’accueil, à l’arrivée on te fournit matelas, duvets, serviette de toilette, on te fait faire le tour du propriétaire et tu dois t’inscrire pour la garde de nuit. On se soucie de là où tu vas dormir, telle ou telle loge, si tu n’as besoin de rien. Règne un sentiment d’entraide et de fraternité. Un dîner commun est servi, offert par une organisation d’aide aux migrants qui soutient le mouvement. Au bout d’un moment, Les musiciens accordent leurs instruments et on chante, à pleins poumons à gorge déployée, même avec un masque sur le nez. J’ai l’impression au fur et à mesure de mon chemin dans les théâtres occupés de reprendre vie, de rire chanter et danser. De récupérer une vie qui depuis un an m’avait été subtilisée par les lois, les décrets, les mesures.

Ici la maisonnée est organisée pour durer des lustres, linge sale, linge propre, serviettes, objets trouvés, médicaments. Le soir tard des petites souris affolées traversent le sol du foyer. De mon lit, je vois la rosace du plafond qui luit doucement au dessus d’une salle vide. Les bribes lointaines du saxo me guident doucement vers un sommeil réparateur.

À ma sortie de l’Odeon je decide d’aller rencontrer les jeunes du Théâtre de la Colline et ceux de la Commune d’Aubervilliers. Ce sont des groupes beaucoup plus fermés que ceux que j’ai rencontrés jusqu’alors. Peut-être parce que ce sont des élèves d’écoles d’art qui occupent les lieux en véritable concertation avec le directeur ou la directrice. Ils sont a-syndiqués, ce qui change beaucoup la donne et préserve leur indépendance, ce qui est très bien vu la façon dont la cgt, structure dominante du mouvement, encadre les occupations.

Mais j’ai l’intuition que ce sont de ces endroits là que viennent les idées fortes pour un monde de demain. Et que le Covid en est une composante inévitable, à la fois déclencheur et au centre de nouveaux enjeux, de nouveaux équilibres, dans le monde du spectacle comme dans la société toute entière.

Claire Denieul Concarneau le 28/03/2021

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Photos Claire Denieul

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