« SANS GRACE » / « AVEC GRACE », COUP DOUBLE POUR KAYIJE KAGAME

CRITIQUE. «Sans Grace» / «Avec Grace» de Kayije Kagame – A l’Arsenic-Centre d’Art Scénique Contemporain, Lausanne – les 22-23-26-27 septembre 2020, ainsi que du 10 au 16 octobre au Grütli, Genève – Deux spectacles à voir l’un après l’autre ou séparément.

«Sans Grace» semble être une introduction, la préface d’une histoire personnelle. Seule en scène, Kayije Kagame joue Grace Tina Colombe Ohery. Quatre prénoms, «c’est beau et lourd à porter». Grace est son nom d’usage, même si elle tend à l’utilisation de son prénom africain. Mais il implique une qualité qui n’est pas la sienne, pas encore: la grâce. Et lorsque sa mère l’appelle en aboyant ce prénom, c’est un relent de culpabilité qui l’étreint.

Cette présence imposante qu’est la voix de sa mère s’accroche à elle comme une prothèse indissociable. Femme de soixante ans, modèle ambigu de force et d’ennui, femme de ménage dans un théâtre, «Manquerait plus que ma fille veuille être comédienne».

Le regard de Grace, fixement lointain, refuse volontairement la confrontation avec le public qui lui fait face. Son monologue empreint de rêves, contraint de souvenirs, exprime la difficulté d’atteindre une identité propre. Se ferme les yeux, étire sa bouche.

Pour la scénographie d’«Avec Grace», le public en U entoure les deux comédiennes, Kayije Kagame et Grace Seri, tandis qu’une assistante, vêtue de blanc, les habille et les maquille et qu’une sorte d’être fantôme, un esprit revêtu entièrement d’une combinaison de dentelle blanche, accessoirise la mise en scène.

Dédoublée, Kayije Kagame joue le rôle de Grace interprétant «Les Bonnes» de Jean Genet. Mais elle se nomme aussi Tina, jouée par Grace Seri. Un jeu d’identité vertigineux, d’où la mère n’est pas absente. Donc, dans la pièce de Genet, Kayije est l’arrogante Madame qu’il faut symboliquement tuer au milieu des fleurs. Alors, la bonne (Claire ou Solange) qu’est Grace pourra faire le ménage, balayer, nettoyer sa culpa psychologique. Double jeu, double catharsis. A deux, on garde au moins un oeil ouvert.

Ce diptyque joue sur plusieurs tableaux: proximité/distance avec le public, histoire personnelle/classique du théâtre, dominant.e.s/dominé.e.s, réalité/fiction. La scénographie épurée du premier volet contraste avec celle, bigarrée, du second. La porcelaine joue aussi le double jeu du texte et des costumes. En revanche, les comédiennes sont aussi bonnes l’une que l’autre…

On peut donc ne voir qu’un spectacle ou en voir plusieurs. Au propre comme au figuré.

Culturieuse,
à Lausanne

Image: Avec Grace Photo Eden Levi

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