CRITIQUE. FESTIVAL D’AUTOMNE : « Sopro » de Tiago Rodrigues – Malakoff scène nationale – Théâtre 71
7 et 8 octobre – Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine 10 octobre 2020 .
Toute de noir vêtue, elle se promène sur le plateau envahi d’herbes folles. Tandis qu’elle vérifie que tout est en place, le vent souffle sur ce théâtre en ruine.
Elle, c’est Cristina Vidal, souffleuse de métier. Une espèce en voie d’extinction. Elle est l’ombre qui vit à la frontière des mots, celle qui relie la réalité à la fiction, l’auteur aux comédiens.
Alors, lorsqu’il lui propose d’écrire une pièce pour elle, le ciel lui tombe sur la tête.
Le long chemin qui l’a conduite à l’acceptation, sur scène ici et maintenant, devient la matière de la pièce. Comme un bloc de pierre que l’auteur taille à petits coups de maillet, peu à peu se façonne l’image de sa personne, de sa profession, de son rôle, du théâtre même, doublant sa vraie vie d’un personnage de théâtre.
L’ébauche de cette sculpture, c’est la petite fille qu’elle était à l’âge de cinq ans, assistant à sa première représentation depuis le trou du souffleur. Elle est enchantée par la transformation que subit une phrase soufflée lorsqu’elle est dite par l’acteur, celui ou celle qui la met en «musique». Elle en fait sa carrière murmurante.
La souffleuse ne quitte pas la scène et souffle tout au long de la représentation. Elle est elle-même, à son travail. C’est son parcours professionnel qui est joué devant nous, composé de ses ressentis, de ses expériences. Elle-même ne joue pas, ce sont cinq remarquables comédien.ne.s qui s’en chargent. Derrière eux, elle souffle leur texte et organise leurs apparitions.
Emaillant l’action de textes classiques (Tchekhov, Racine, Sophocle) mêlés à des moments réellement vécus par Cristina, l’auteur construit la pièce par strates. Les anecdotes qu’il a récoltées d’elle, drôles ou tragiques, sont littéralement imbriquées à l’intérieur d’extraits de pièces jouées, prêtant un sens renouvelé à la fiction comme à l’histoire personnelle.
Le temps est démultiplié, les mots et les personnages aussi. La souffleuse souffle les pans de sa vie aux actrices qui la jouent sur scène et entrelacent la réalité au répertoire classique.
Cristina, l’ombre des coulisses, celle que l’on ne doit pas voir ni entendre, prend corps et devient oeuvre.
«Sopro» est une création magistrale, une ode au spectacle vivant et à ceux qui le transmettent. Au cinéma, on préfère souvent voir le film en version originale. Au théâtre, surtout pour une oeuvre aussi riche en texte, c’est plus compliqué. Lire le surtitrage tout en s’impliquant dans l’action en tant que spectateur élague quelque peu la densité du propos. C’est mon ressenti. Ce qui ne m’a pas empêché d’en admirer l’architecture et d’être touchée par l’émotion qu’elle dégage.
Culturieuse,
Photo © Filipe Ferreira