CRITIQUE. Paris OFF Festival- Théâtre 14 – Paris – 13 – 18/07/2020 – (Compte rendu juillet 2020).
Il parût une beauté à la cour*…
Tout le monde connaît cette histoire des deux souris qui tombent dans un pot de lait. La première, certaine de ne pouvoir s’en sortir se laisse mourir, la seconde, volontaire, pleine d’espoir, ne se laisse pas abattre et mouline de ses quatre pattes dans le lait qui, au fur et à mesure, devient beurre et lui permet de sortir…
Edouard Chapot et Mathieu Touzé appartiennent à la seconde catégorie… Face à la pandémie de Covid 19, ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour utiliser leur tout nouveau théâtre dont ils ont pris récemment la direction pour y faire ce pour quoi il est prévu : du spectacle vivant.
C’est déjà chez eux, au Théâtre 14, qu’ont eu lieu les premières représentations de spectacles en France lorsque ce fut possible avec le magnifique Elle princesse, lui pas héros de l’autrice Magali Mougel, astucieusement mis en scène par Johanny Bert. Puis, dès l’annulation du Festival d’Avignon et de son OFF – où Mathieu Touzé fit ses débuts – l’idée de contrecarrer le désastre industriel prévisible en proposant un mini OFF à Paris leur est venue.
Un moyen de présenter 15 spectacles en partenariat avec des lieux du OFF à Avignon comme le : 11, l’Arthéphile, La Factory, le Théâtre des Brunes, le Train Bleu et le Transversal… Une chance pour les heureux élus de rencontrer sinon autant de professionnels qu’à Avignon au moins de faire vivre leur spectacle devant des réactions humaines ce qui, après plusieurs mois de confinement, ne sera pas du luxe…
Ce qui est frappant dans cette proposition de « OFF » c’est qu’elle a les mêmes travers que son jumeau d’Avignon puisque le principe du OFF du Vaucluse est que toutes personnes qui ont créé un spectacle, dès lors qu’ils louent un créneau dans un théâtre, peuvent le présenter et, par conséquent, les niveaux sont disparates et à Paris aussi il y a eu le meilleur et le pire…
On a pu découvrir de bon matin un duo de clown(e) qui présentait Bif Tek. Le collectif Te salue tente de renouveler l’exercice du Clown. Après d’inénarrables numéros de clowns tristes ou lunaires, souffres douleurs, voici que Camille Bernaudet et Evangélina Pruvot tentent le registre du clown contestataire, qui se rebiffe et qui se venge fort d’une arme qui lui sert d’autorité sur sa comparse.
C’est un clown 2020 qui tient compte des évolutions sociales, des abus de pouvoirs. Il est multilingue… mais ce n’est pas la meilleure idée car, si on estime que ce spectacle est aussi pour les enfants – ceux des centres sociaux du quartier, associés à la fête du OFF du Théâtre 14, ne comprenaient pas et le disaient à haute voix…
Pour rendre ce spectacle convainquant, il faudrait juste que les autrices – artistes enregistrent les réactions des enfants pour améliorer la proposition et la faire grandir, car il ne suffit pas de faire surgir une otarie végétarienne ou un dresseur de puces pour convaincre l’auditoire…
On avait déjà entendu parler de Spécimens, mis en scène par Nathalie Bensard qui, sous couvert de faire redécouvrir Roméo et Juliette, introduit un couple de jeunes ados habilement joués par Louise Dupuis et Tom Politano qui vont glisser quelques phrases bien senties sur le mal être de ces jeunes gens, sur leurs rêves de gosses qui vont se heurter la réalité du monde tel qu’il est… pas de conte de fée, pas de Bête réveillée par la Belle… Dans le vrai monde, les choses sont dures, les parents sont chiants et les ados en souffrent. La proposition a du charme, mais il faudrait clarifier le projet car le procédé de briser le 4ème mur en interpellant la salle, en lui posant des questions sur les caractéristiques littérairess ou scientifiques des garçons ou des filles qui plongent assez régulièrement le spectacle dans un forme potache qui n’est pas à la hauteur de l’idée comme l’inversion du sexe des rôles de Roméo et Juliette… dommage.
On espérait aussi beaucoup de (mon premier) c’est désir, un texte de Lise Martin et Marie – Madeleine de La Fayette où la metteuse en scène Anne-Frédérique Bourget se proposait de nous faire (re)découvrir un texte naguère décrié par un Président de la République La princesse de Clèves. Si Charlotte Marquardt ne manque pas de charme lorsqu’elle dit avec application et justesse des passages du roman, on doute de l’utilité des intermèdes de la vie réelle. On est déçu du rôle de jeune beau très rudimentaire qu’on fait jouer à Benoit Margottin assez peu exploité… On ne comprend pas ces va-et-vient incessants avec d’horribles velours de couleur, on doute de l’utilité d’un monologue dans le creux d’un paravent, même avec (d’hideux) miroirs… La mise en scène est brouillonne, et c’est dommage parce que la présence de la chorégraphe Christina Santucci aurait pu (dû) obliger à plus de rigueur, cela aurait aidé la direction d’acteurs qui est proche du boulevard alors que, là aussi, la proposition initiale était alléchante…
On a eu aussi beaucoup de peine avec Ronce-Rose de la compagnie Les Indiscrets qui proposait de s’emparer du roman éponyme d’Eric Chevillard et si Jean-Louis Baille fait une belle tentative de transposer une jeune fille assise sur sa chaise haute – astucieuse idée et lumières soignées de Franck Roncière, à suivre – il n’arrive pas à nous emmener bien loin et on se met à songer à ce qu’en aurait fait un artiste comme Jean-Quentin Chatelain…
Bref ! Il aura donc fallu attendre Etienne A de Florian Pâque, mis en scène par l’auteur pour que la qualité soit au rendez-vous et surtout le bonheur de voir un projet rondement mené, exploser littéralement sous le talent de Nicolas Schmitt, prodigieux dans ce rôle d’Etienne, employé chez Amazon qui mène une vie solitaire, peu glorieuse et qui finira mal… Les mots de Florian Pâque sont précis, ne perdent pas leur temps avec des digressions inutiles. Grâce au registre immense de Nicolas Schmitt, l’histoire file, les personnages se bousculent et que ce soit mamie nova, moralisatrice ou sa femme, son père ou ses collègues… une vraie société se bouscule dans une scénographie utile et simple imaginée pat Marlène Berkane qui permet sans cesse des surprises que ne manque pas de nous offrir le comédien. Guettez ce spectacle qui devrait être repris à La Scala de Paris en octobre – novembre 2020, c’est un magnifique moment de théâtre avec que du neuf à voir et à entendre !
Et la journée s’est bien finie avec le remarquable Une goutte d’eau dans un nuage, présenté en 2019 au Transversal d’Avignon dans une version plus courte par Eloïse Mercier qui réussit l’exploit en quelques phrases et manipulations d’objets, à nous expédier à Saïgon… entre passion folle avec B et immersion locale avec A, Eloise Mercier, lèvres collées au micro, comme les écrivains voyageurs tels Nicolas Bouvier, parvient à captiver, émouvoir et convaincre… En sept chapitres et quelques apparitions célèbres – comment ne pas faire surgir Duras lorsqu’on parle du Vietnam ?! – le spectateur tombe dans une faille temporelle et se laisse bercer par les aventures d’Eloïse qui n’a pas froid aux yeux…
Un « Off » comme le vrai avec ses bofs et ses coups de cœurs, ses révélations et ses espoirs. Une belle tentative de secouer la morosité ambiante, organisé avec générosité par deux nouveaux venus qui ont encore la foi. Qu’ils s’accrochent, la rentrée ne va pas être calme…
Emmanuel Serafini
* extrait de La princesse de Clèves.