« CAVALIERA RUSTICANA » / « PAGLIACCI » : DEUX JUMEAUX DE L’OPERA VERISTE ITALIEN SERVIS AVEC BRIO

operaavignon1

CRITIQUE. Cavalleria rusticana – Mélodrame en un acte de Pietro Mascagni créé le 17 mai 1890 à Rome / Pagliacci – Opéra de Ruggero Leoncavallo créé le 21 mai 1892 à Milan / Direction musicale : Miguel Campos Neto – Mise en scène : Eric Perez – Spectacle donné à l’Opéra Confluence d’Avignon les 6 et 8 mars 2020 – Production de Clermont-Auvergne Opéra en coproduction avec l’Opéra du Grand Avignon, l’Opéra de Massy, l’Opéra de Reims et le Festival de Saint-Céré.

Cette année encore cette nouvelle production, émanation du 26ème Concours international de chant de Clermont-Ferrand, nous donne à découvrir les talents lyriques de demain. Concours qui a mis à l’honneur pour cette édition ces deux frères jumeaux inséparables de l’opéra vériste italien que sont « Cavalleria rusticana » de Mascagni et « Pagliacci » de Leoncavallo.

C’est toujours avec une certaine appréhension que l’on s’apprête à « encaisser » les émotions violentes et les déchaînements passionnels et musicaux portés par ces opéras qui mettent les cœurs à nu. Ici point d’intermédiaire entre les personnages et nous ! Point de romantisme, de manichéisme, de recherche esthétique ou de fioritures belcantistes. Le contact est direct et l’émotion frappe de plein fouet. Si le sens de l’honneur, la rigueur religieuse et le machisme de l’époque nous sont moins familiers, l’amour passionnel, la haine, la jalousie, le besoin de vengeance, le remords, sont bien des constantes incontrôlables et intemporelles de l’âme humaine toujours proches de nous.

Cavalleria rusticana nous plonge au cœur d’une Sicile du XIXème siècle régentée par les codes de l’honneur, la religion, les non-dits qui ne dépassent pas la porte du confessionnal. C’est en ce jour de Pâques que Santuzza, rongée par la jalousie, délaissée par son mari Turiddu amoureux de Lola, libère la parole. Dès lors les passions se déchaînent. Alfio, le mari de Lola, un honnête charretier, sait quel est son devoir. Au-delà du thème classique de la jalousie et de la vengeance et d’un livret relativement banal, c’est la musique de Mascagni qui fait toute la richesse de cet opéra. C’est lorsque le drame est annoncé, inéluctable, qu’intervient le célèbre intermezzo, ce grand moment de recueillement qui évoque tant la fatalité, la détresse des âmes face à leur destin.

Avec Pagliacci, c’est un autre drame de la jalousie qui se noue dans un petit village de Calabre dans le microcosme d’une troupe de commedia dell’arte sur fond d’amour passion et de harcèlement sexuel. Un spectacle mis en abyme dans lequel les acteurs vont prendre la place de leur personnage, où la comédie devient tragédie, où la fiction et la réalité se rencontrent devant un public villageois captivé par le spectacle mais qui bascule peu à peu vers la stupéfaction et l’horreur. Et ce public, c’est nous ! L’assassinat de Nedda et de son amant Silvio par Canio se passe sous nos yeux, dans la salle. Le public semble pétrifié quand Canio, vengé, nous lance « la commedia è finita ! » en quittant la salle, laissant deux cadavres au milieu du public. Cadavres qui ne manquent pas de se relever pour répondre à des applaudissements nourris. Il faut reconnaître que l’effet est saisissant de réalisme !

La mise en scène d’Eric Perez est classique et soutient la volonté de réalisme de l’esthétique vériste. La direction d’acteur, un peu statique dans « Cavalleria rusticana », est remarquable dans « Pagliacci » où les chanteurs révèlent tous leurs talents d’acteurs.

Le décor unique partage la scène en trois et se révèle fonctionnel. C’est successivement une nef d’église et ses deux bas-côtés, un parvis, puis une place de village et une scène de théâtre ambulant dans Pagliacci. Les costumes et des éclairages recherchés produisent de belles images en clair-obscur dans une atmosphère sombre et tendue. C’est ici cette part obscure des passions qui est mise à nu.

Sur le plan vocal, les lauréats du concours de Clermont-Ferrand réservent cette fois encore de belles surprises.

Chrystelle di Marco incarne Santuzza avec sa voix ample et expressive. Le jeu est un peu statique mais exprime avec nuances les sentiments de son personnage : la jalousie, son amour sincère pour Tiriddu, puis la haine et le désespoir. Son duo avec Gosha Kowalinska qui interprète avec profondeur Mamma Lucia, la mère de Tiriddu, est particulièrement touchant.

Autre découverte du concours, la soprano Solen Mainguené, dans le rôle de Nedda, se saisit de toute la complexité du rôle par ses talents d’actrice, sa présence sur scène et sa voix expressive et passionnée, un peu stridente dans les aigus, mais toujours chargée d’émotion. Son interprétation de Colombine, désorientée et égarée dans cette comédie qui bascule dans le drame, est remarquable de justesse.

Le baryton coréen Dongyong Noh, particulièrement convaincant, incarne successivement Alfio, ce charretier heureux de vivre qui sombre dans la jalousie et le devoir de vengeance, et Tonio, harceleur sexuel abject, instigateur du drame par vengeance.

Autres lauréats du concours, la mezzo soprano Ania Wozniak dans le rôle d’une Lola on ne peut plus aguichante, et le jeune ténor Jean Miannay en arlequin facétieux, bondissant qui apporte une touche de fantaisie bienvenue.

Cette belle distribution issue du concours de Clermont-Ferrand est complétée avec justesse.

Le ténor ukrainien Denys Pivnitskyi prête sa voix assurée au timbre clair et ses talents d’acteur charismatique à Tiriddu dans Cavalleria rusticana et à Canio dans Pagliacci, rôle sublime dont il assume toute la démesure avec un immense talent.

Le baryton coréen Jiwon Song, lauréat du concours précédent en 2017, qui interprète Silvio, l’amoureux passionné de Nedda qu’il suit jusque dans la mort, a également le privilège d’ouvrir le spectacle par le prologue de « Paglicci ». Prologue chanté au cœur du public sans lequel l’auteur nous dit que nous allons voir des hommes de chair et d’os qui respirent l’air de ce monde, une histoire vraie dont nous serons les premiers témoins. Le ton est donné !

Les chœurs de villageois, qui occupent une place importante dans ces opéras, sont interprétés par le Chœur de l’Opéra Grand Avignon, toujours irréprochable et l’Orchestre Régional Avignon-Provence confirme sa polyvalence, abordant le vérisme avec aisance sous la baguette expressive de Miguel Campos Neto qui sait transmettre l’émotion et donner du relief aux instruments.

Un spectacle fort, chargé d’émotions, intemporel, qui nous rend témoins directs des côtés sombres et mystérieux de l’âme humaine !

Jean-Louis Blanc

operaavignon2

Photos Opéra d’Avignon

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s