CRITIQUE. «Qui a tué mon père» d’Edouard Louis par Stanislas Nordey – Au théâtre de Vidy-Lausanne du 24 au 27 février 2020 – Au Grand R, La Roche sur Yon, les 5 et 6 mars 2020.
Une citation de Ruth Gilmore en ouverture rappelle que le racisme est «l’exposition de certaines populations à une mort prématurée. Cette définition fonctionne aussi pour la domination masculine, la haine de l’homosexualité ou des transgenres, la domination de classe, tous les phénomènes d’oppression sociale et politique».
Sur les tentures qui entourent la scène, les patriarches, sous la forme d’arbres immenses, dominent de petites habitations serrées les unes contre les autres. Au centre, une table. Deux hommes sont assis face à face, le plus âgé dans une posture légèrement accablée: un mannequin. Le second, c’est Stanislas Nordey. Il va plonger le public pendant 1h50 dans la mémoire de l’écrivain Edouard Louis, se glissant dans sa peau, révélant un texte qu’il met à nu.
Edouard Louis, après ses livres «En finir avec Eddy Bellegueule» et «Histoire de la violence», a écrit ce texte théâtral sur la proposition de Stanislas Nordey et souhaité sa mise en scène et son interprétation.
Que l’on apprécie ou pas le style Nordey (car oui, l’artiste possède un style bien à lui), il endosse ce rôle avec une retenue et une maîtrise formidables. Le ton qu’il emploie reste neutre, seulement nuancé par son rythme, sa posture, ses déplacements et ses gestes, permettant à chacun d’y entendre sa propre émotion.
Recourant à des évènements vécus, des anecdotes tendres ou féroces, l’auteur se confie sur l’image qu’il s’est construite de son père. Mais au-delà de ce statut paternel, c’est l’homme qu’il cherche à comprendre. Un homme qu’il reconnait brisé par le système. Une nette distinction par rapport à son premier ouvrage. La clé qui lui permettra de reconnaître une forme d’amour réciproque.
La mise en scène, épurée, est centrée sur le jeu du comédien. Elle accentue un épisode dramatique avec un rideau noir, recouvre les blâmes d’une giboulée de neige immaculée et souligne l’intimité d’une confidence par le chuchotement. Elle est ici et là entrecoupée d’interludes d’obscurité, de sonorités de clarinettes et de quelques citations surtitrées.
Comme en écho aux différents aspects de la personnalité du père, jusqu’à cinq mannequins diversement positionnés accompagnent le monologue. Jamais ils ne font face au public, au contraire du comédien qui s’y adresse et le prend à témoin. Au fur et à mesure des souvenirs évoqués, telles des preuves accumulées, l’enquête du fils va révéler ceux qui pour lui sont les coupables de la mort du père et les nommer. Cette violence sociale est avant tout politique. Les meurtriers, dont l’acteur proclame les noms d’une voix forte, sont les dirigeants.
A différents niveaux, tous et toutes nous avons souffert ou nous souffrons encore des contraintes du patriarcat. Les pères comme les fils et les mères comme les filles. C’est l’une des raisons qui rendent ce monologue si pénétrant, si collectif. La violence sociale subie par les membres défavorisés de la société reste méconnue ou ignorée. Les dominants accablent les dominés de toute leur hauteur, celle d’arbres centenaires, bien enracinés dans les terres, surplombant de fragiles maisonnettes agglutinées les unes aux autres. Par delà l’écriture accessible et sensible et sa transmission limpide par un acteur magistral, il nous est donné ici d’aborder le thème universel de l’emprise en mêlant l’intime au politique.
A noter que ce spectacle existe en format réduit. Il pourra donc être joué dans de plus petits espaces dans le but de toucher des spectateurs de toutes catégories sociales.
Culturieuse,