CRITIQUE. « Histoire de la violence », Thomas Ostermeier – Du 30 janvier au 15 février 2020 au Théâtre de la Ville, Paris.
L’année dernière, c’est le texte de Didier Eribon qui était porté à la scène par Thomas Ostermeier au Théâtre de la Ville : la violence des discriminations liée au genre, mais surtout liée aux classes sociales. C’est donc plutôt cohérent que cette fois-ci, ce soit dans le texte d’Edouard Louis, élève du sociologue de Didier Eribon, à la plume sensible et aiguisée, que Thomas Ostermeier puisera les bribes d’une histoire forte et émouvante.
« Histoire de la violence » relate l’épisode qui bouleversera la vie d’un jeune homme homosexuel. Un soir de Noël, en rentrant chez lui, Edouard Louis rencontre un bel homme kabyl qu’il ramène chez lui. Après une folle nuit d’amour et de complicité, vient le matin difficile. En sortant de sa douche, Edouard ne retrouve plus son téléphone. Avec précaution, il demande à son invité s’il ne sait pas où son téléphone se trouve. Se sentant agressé et humilié, l’amant d’une nuit perd contrôle, le frappe, le viole.
A ce récit du jeune homme, s’entremêle celui de la sœur, obstruée par des préjugés qui la rattrapent, qui raconte à son mari l’épisode terrible. Une autre toile se superpose, celle de la plainte à la police, où discriminations ethniques s’invitent au pas de la porte.
En s’embriquant les uns dans les autres, en se répondant mutuellement, ces récits autobiographiques ne suivent pas une trame chronologique, mais construisent un voyage dans les méandres de la pensée de ce jeune homme sensible en quête d’une justice. Un voyage qui va à la rencontre des dialogues intérieurs d’Edouard Louis et reflète ses interactions avec le monde extérieur.
Des chorégraphies efficaces et très bien intégrées permettent des respirations, des brèches ouvrant la porte à l’imagination, au suggéré. Pendant toute la pièce, un batteur est présent sur scène. Il donne le rythme, le pouls, soutient et accompagne le récit ou fait vaciller l’atmosphère vers l’étrange, pour s’éloigner de la réalité.
Thomas Ostermeier, metteur en scène de la Schaubühne de Berlin, connu internationalement pour ses œuvres grandioses attirant un public nombreux et fidèle, nous livre ici une pièce sensible et intime. Par une histoire individuelle, les enjeux individuels s’articulent aux collectifs, l’universel se glisse par l’entrebâillement des violences structurelles.
Avec une mise en scène parfaitement maîtrisée, Thomas Ostermeier nous offre une œuvre riche et émouvante. Très justes, les acteurs, incarnant une multitude de rôles, jouent avec brio. Le seul qui ne joue qu’un personnage, Laurenz Laufenberg, dans le rôle d’Edouard Louis, nous livre une interprétation fine et sensible. Edouard Louis, qui était présent lors des répétitions pour adapter avec Thomas Ostermeier son texte à la scène, donna au comédien des indications sur ses postures, ses gestes et la manière de se déplacer pour ainsi lui offrir la possibilité de livrer une interprétation troublante de lui-même.
Un seul moment perd un peu de sa puissance à mon goût, le moment du vol et de l’événement qui se poursuit, trop littéral, n’arrivant pas à transcender la réalité. Alors que l’ensemble de l’histoire est entrecoupé par d’autres interventions, chorégraphies ou dialogues intérieurs, qui telle une mauvaise conscience, viennent interrompre le court du récit, ce moment clé n’arrive pas à s’envoler. Toute la force de la mise en scène de Thomas Ostermeier est justement de se détacher du texte, des faits pour créer des espaces créatifs propices à l’imagination et à l’émotion. Malgré cet épisode un peu plus faible, « Histoire de la violence » est une belle pièce qui traite de l’homophobie et de la xénophobie avec finesse et justesse.
Ann Thielle