« CHOSES VUES » : DEUX, TROIS CHOSES A REVOIR

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CRITIQUE. « Choses vues » De Victor Hugo, adapté par Christophe Barbier, mis en scène par Stéphanie Tesson, avec Christophe Barbier et Jean-Paul Bordes – Au Théâtre de Poche-Montparnasse du mardi au vendredi à 21h, relâches exceptionnelles les 7 et 21 février, le 13 mars et les 3, 17 et 21 avril.

L’adaptation, ou en tout cas le découpage de Christophe Barbier des « Choses vues » de Hugo gage à la fois de sa sensibilité et de son intelligence littéraires. S’il est permis de questionner la réelle théâtralité de certains des fragments choisis, leur composition déjoue assez bien les pièges d’un parler trop écrit. La collection posthume des notes d’Hugo, montées au Poche-Montparnasse comme un « Emploi du temps » à la Butor, compose une chronique assez savoureuse du XIXème siècle, traversé de part en part par son génie officiel (« Ce siècle avait deux ans », etc. ).

Hugo est –hélas- grandiose et mondain, c’est-à-dire simultanément énorme et tout petit. Les « Choses vues » sont tantôt un ersatz de page nécrologique, tantôt le récit (très complaisant) de soi, tantôt le roman des grandes scènes du siècle. Hugo est un historien « à la romaine », une sorte de colporteur magnifique : il n’est pas le Frédéric Moreau des instants manqués de Flaubert ; il n’est pas homme d’antichambre et de bruits de couloir : il est grand, parle grand et a l’oreille des grands.

Si l’on n’a pas parcouru les « Choses vues », le florilège que Christophe Barbier propose au Poche-Montparnasse est une assez bonne entrée en matière, brassant les multiples voix hugoliennes, laissant planer (plutôt tendrement) ses paradoxes, et glanant çà et là des saillies bien hugoliennes.

Le choix de partager la partition entre deux comédiens a peut-être vocation d’illustrer la polyphonie hugolienne, mais la cantonne justement à un duo quand le texte révèle sans cesse un homme autrement pluriel. Stéphanie Tesson estime qu’« à eux deux ils réunissent les ingrédients essentiels de la nature hugolienne ; ils conjuguent les qualités propres à sa personnalité légendaire. » À l’un, « l’esprit vif et acéré du chroniqueur, la distance lucide du journaliste qui embrasse l’actualité d’un coup d’œil synthétique pour en tirer une conclusion concrète et dynamique », à l’autre, « une sensibilité de poète, une âme romantique et une ardente spiritualité, qui lui rendent familières les présences invisibles. » Je ne sais pas si le journaliste et le poète sensible sont réellement les deux faces du monstre sacré, et lequel est le monstre, lequel est sacré… Ni pourquoi, de toutes ces facettes, on est allé chercher celle du journaliste, qui est probablement la moins caractéristique, si elle n’est pas à contresens du projet hugolien. Quant à la sensibilité poétique d’Hugo… Vorace, prophétique, frondeuse, énorme, d’abord ! et puis, sensible, aussi, certes.

En tout cas, la voix portée par Jean-Paul Bordes est très finement trouvée parmi toutes. Il la manie comme une rampe au regard : il projette les choses vues et fait flotter les images autour de nous. Le Hugo de Bordes, souriant, contemplatif, serein comme après les longues mélancolies, est une découverte subtile. Sa voix retenue, intérieure, est pleine de tendresse pour le verbe, admirative aussi, comme si c’était la première fois que les mots lui venaient. Cette esthétique du demi-murmure n’est malheureusement pas servie par l’acoustique d’une salle qui se prête mal aux messes basses.

Christophe Barbier est plus en voix, moins en jeu. Si son intimité avec le texte est évidente, aimante, et son texte maîtrisé, l’interprétation semble moins approfondie, moins intériorisée –et disons-le, plus mécanique (au sens théâtral : on fait des mouvements avec la voix, on accentue aux points d’emphase…) : la part d’âme n’a pas trouvé sa place dans l’émotion (et le trac ?) de la première. Les silences, notamment, sont révélateurs : Bordes les accompagne, Barbier les joue. Le premier campe, le second pose. Christophe Barbier est-il le meilleur allié pour servir l’adaptation (par ailleurs dosée et intelligente) qu’il a lui-même signée ?

L’enjeu des prochaines représentations résidera notamment dans l’appropriation de l’espace scénique, l’ajustement des déplacements et des dispositions scéniques, et un travail sur l’implantation des éléments de décor. Le spectateur à gauche et à droite de la salle ne voit pas les comédiens jouer, gêné par des tentures que la hauteur sous plafond ne permet pas de mettre en valeur sans encombrer la scène.

Ces quelques réglages viendront assurément équilibrer les prochaines représentations. La proposition de Christophe Barbier et Stéphanie Tesson est courageuse : les revers qu’elle rencontre sont à l’aune de ses ambitions.

Marguerite Dornier

« Choses vues » de Victor Hugo, adapté par Christophe Barbier, avec le décor de Marguerite Danguy des Déserts, les costumes de Corinne Rossi, assistée par Emilie Chevrillon, et les lumières de François Loiseau

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