CRITIQUE. BOYZIE CEKWANA & DANYA HAMMOUD « BOOTLEGGED » – Kaaïstudio, Bruselles – les 21 et 22 janvier 2020.
On leur a tout arraché, leur terre, leur maison, leur culture, leur langue.Tout. Il ne leur reste plus que leur corps, mis à la disposition de la rentabilité. Debout, puis à quatre pattes, comme des primates, ils se déplacent. Au loin, on entend une voix qui raconte le monde; ses absurdités, ses tourments: Comment? pourquoi?
Pourtant ils sont tenaces, ils sont forts. Leurs histoires traînent en eux, dans l’étendue de leur corps, de leurs âmes, malgré tout. Parfois, leur blessures cicatrisent, puis elles réapparaissent, ce sont des séquelles. On n’ en guérit pas. Et ça se voit dans la façon qu’ils ont de bouger, leur façon de danser « Mais qu’est-ce-que c’est la danse ? Pourquoi devrait-on danser d’une certaine manière ?» dit une voix au loin. Ne vous méprenez pas ! Ceci n’est pas le récit d’un film de science fiction, ni l’extrait d’un livre du genre, c’est le début de la représentation de »Bootlegged » (contrebande).
Le public venu en petit nombre, a assisté au nouveau spectacle de danse Boyzie Cekwana et Danya Hammoud, respectivement chorégraphe, metteur en scène sud-africain vivant à Johannesburg et chorégraphe d’origine libanaise. C’était le 21 janvier dernier au Kaastudio à Bruxelles.
Un spectacle de danse d’une poésie absolument impénétrable où le colonialisme, les inégalités, les conflits, les échanges entre les peuples, sont racontés dans une grammaire cabalistique, voire ésotérique. Une quête quasi obsessionnelle du chorégraphe sud-africain à sortir le public de ses lambris pour entrer dans un univers inconnu, le sien, fermé, secret. L’Africain que je suis tombe sous le charme de ces corps fragiles, justes, vulnérables, devenu l’instant du spectacle, une arme contre contre les maux qui minent notre société. On peut comprendre que la démarche ne soit pas au goût de tout le monde, quand on attend que de maigres applaudissements, à la fin du spectacle.
»Bootlegged » (contrebande), le titre du spectacle est une allusion faite aux années 1880 où les colons vendaient clandestinement de l’alcool aux Amérindiens afin de neutraliser par l’ivresse, les indigènes rebelles. Avec ce nouveau spectacle, Boyzie Cekwana reste dans le registre de l’art engagé. Il avait présenté il y a 3 ans au festival d’Avignon « The last King of Kakfontein » dans lequel il mettait en scène la chute d’un tyran dans un pays imaginaire dénommé Kakfontein. Le spectacle scrutait par ailleurs le comportement des populistes.
»Bootlegged »: Un spectacle à voir pour moi sans aucun doute, mais pour un public averti.
Dominique Bela,
à Bruxelles