CRITIQUE. «Je vous ai préparé un petit biotruc au four» ou «Mais où est donc passé Jean-Michel?» de Marielle Pinsard – Du 23 janvier au 1er février 2020 au Théâtre de Vidy-Lausanne.
Une recette traditionnelle, celle du Vaudeville, restaurée par une autrice friande de sociologie bio, voilà qui a de quoi réjouir les papilles du public!
Marielle Pinsard reprend les personnages créés il y a dix ans pour sa pièce «Nous ne tiendrons pas nos promesses», histoire de voir ce qu’ils sont devenus…
Dans son salon cosy, Yvonne se prépare à recevoir des amis à l’occasion de son anniversaire. Cette pétillante bobo cinquantenaire se veut éco-responsable. Elle étrenne donc un «compteur de consommation d’énergie en temps réel» qui impose une dépense énergétique raisonnable dans son intérieur, celui-ci dictera donc la durée de la soirée. Elle vit avec son fils adolescent absorbé par son Iphone et son nouvel amant africain, Jean II, malicieux personnage enthousiaste et solaire qui l’appelle son «frigidaire» puisqu’il fait trop chaud en Afrique…
Leurs costumes chatoyants définissant les caractéristiques des invités, le premier arrivant est Cyril, un beauf à la main baladeuse, décomplexé et blagueur. Jane débarque ensuite avec sa compagne Béa. Jane, précédemment Reto, est antispéciste et a déjà changé de sexe deux fois. Béa est atteinte de la maladie de la Tourette et profère autant de compliments que d’insultes. Le militantisme écologiste est représenté par l’incursion de Chantal et sa trottinette, la voisine végane qui chante (admirablement) le manque d’amour.
Comme dans tout Vaudeville qui se respecte, les portes vont claquer, les relations se feront grivoises, l’action se déroulera dans un rythme effréné, et ici, l’amant qui moisit dans le placard est un gilet jaune que l’on aperçoit brièvement lors de brutales ouvertures de portes.
Mais ne nous y trompons pas, sous les paroles hilarantes surgissent les évidences politiques, tout comme Jean-Michel de son placard. Sans pour autant faire de leçon de morale, Yvonne se demande bien pourquoi notre cerveau est incapable d’enregistrer l’urgence climatique: il semble que se mentir à soi-même soit un sauvetage mental d’absolue nécessité.
Le décor souligne les contradictions inhérentes aux bonnes volontés des personnages: les coussins «on n’a qu’une planète» trônent sur une peau de zèbre, le pouf est une patte d’éléphant, on triche avec le compteur d’énergie pour profiter de plus de lumière et les toilettes sèches rebutent. Clôturer la soirée par un cercle de bâton de paroles où l’on s’engage à faire un geste pour la planète ne trompe plus personne.
Par une fine et perspicace observation de nos comportements, Marielle Pinsard et ses interprètes exceptionnel.le.s, dont une généreuse Catherine Salée est l’Yvonne truculente, nous entraînent dans cette folle soirée où sont représentés les stéréotypes émergeants de notre époque écolo-connectée. Cette catégorie sociale surnommée Bobo, la nouvelle bourgeoisie bohème conscientisée, est décrite ici avec autant de clairvoyance que de tendresse et un humour féroce revigorant!
Culturieuse,
à Lausanne
Photos Dorothée Thibert Filliger