CRITIQUE. Aux éclats – Cie Nathalie Béasse – Le Quai, Angers le 16 janvier 2020.
En entrant dans la salle du Quai dite « salle de répétition », tu te souviens des premiers spectacles de Nathalie Béasse, que tu as pu découvrir avec enthousiasme au théâtre de la Bastille dont elle est une habituée. « Happy child » et « Wonderful world », en particulier, t’avaient marqué. Un théâtre visuel et musical, un sens de l’absurde affirmé, des comédiens-danseurs très engagés, peu de texte, une lumière minimaliste, quelques éléments de décor tirés du quotidien dont, récurrent, un rideau : tels étaient les ingrédients qui caractérisaient la mise en scène étrange, originale, singulière, forte, de la jeune metteuse en scène.
Quelques dix ans plus tard et après autant de créations, tu retrouves sur le plateau presque nu un dispositif scénique équivalent : chaises, table, tapis, plantes vertes, tubes en plastique, lumières de service. On entend hors champ des bruits de voix et d’outillages, quelques plaques de plâtres tombent du plafond, une chaise glisse sur la scène, un liquide blanc s’échappe des murs côté jardin. Trois hommes, en costume de cadres moyens, entrent par les gradins, s’assoient, se relèvent, dérangent le public, dissertent sur le rire, jouent à « le premier qui rira aura une tapette » (qui tourne à l’excès, les deux joueurs prenant de véritables claques). Puis tu vois ces trois hommes investir le plateau et enchaîner farces enfantines (coussin péteur, dents de vampire, masques de monstres…), danse rock endiablée, numéros de magie amateurs ou performance d’équilibre sur les tubes assemblés et transformés en trône, manipulation d’une marionnette géante qu’on abandonne en la qualifiant de « nulle » comme un enfant qui ne croit plus à son jeu… Tu as du mal à prendre tout cela à un degré quelconque, à trouver un sens au jusqu’au boutisme puéril des personnages.
Un nouveau dispositif, en apparence plus sérieux, est mis en place : un praticable mobile sur lequel s’installent les trois comédiens face au public. Devant un voile qu’on imagine occulter une baie vitrée, deux sont assis, éclairés par la lumière feutrée du lampadaire d’un appartement bourgeois des années 70. L’autre est debout, l’air impassible. Les deux premiers, l’air snob, s’engagent dans une conversation en anglais digne d’un cours de langue pour débutant, tandis que l’autre s’emploie à les singer. Tu trouves cela facile et long. Mais, surprise, une (comment dire autrement) merde s’écrase au sol… Tu ne sais plus quoi penser.
La scène qui suit, où tu vois les comédiens enfiler des vêtements les uns sur les autres, ne t’éclaircira pas — pas plus que le « final » où tout un bric-à-brac tombe violemment des cintres : nouvelles (comment dire autrement) merdes, plaques de plâtre, bombes à eau, pâtes alimentaires, farine, matelas, fleurs, copeaux de bois, trombes d’eau, valise, feuilles A4, etc. Tout ce fracas fait son effet, mais tu ne sais toujours pas ce qu’a voulu te dire Nathalie Béasse, ni les comédiens qui ne t’ont ni fait rire, ni ému, ni d’ailleurs exposé un point de vue.
Tu es déçu.Tu as le sentiment d’avoir assisté à un premier jet de mise en scène, à un bout-à-bout sans rythme, sans intensité dramatique. À une répétition qui n’augure rien de bon. À beaucoup d’éclats, pour pas grand chose.
Stéphane Leca