UNE « FLÛTE ENCHANTEE » ENCHANTERESSE A L’OPERA D’AVIGNON

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CRITIQUE. La Flûte enchantée – Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart créé à Vienne le 30 septembre 1791 – Livret d’Emmanuel Schikaneder – Direction musicale : Hervé Niquet – Mise en scène, scénographie et lumières : Cécile Roussat et Julien Lubek – Version française – Traduction : Françoise Ferlan – Production de l’Opéra Royal de Wallonie en coréalisation avec l’Opéra Royal de Versailles – Spectacle donné à l’Opéra Confluence d’Avignon les 27, 29 et 31 décembre 2019.

Sans être dans le secret des dieux, nous avions prédit que le Mozart de cette saison lyrique de L’Opéra Grand Avignon serait « La Flûte enchantée ». Prédiction peu méritoire tant ce choix coule de source pour la saison « Fraternité », troisième et dernière saison de l’Opéra Confluence.

Mais il ne s’agit pas ici de « Die Zauberflöte » dont les airs dans la langue de Goethe sont gravés dans toutes les têtes mais bien de « La Flûte enchantée » dans la mesure où le spectacle est donné intégralement en français.

Et quelle Flûte !!!

Les réticences sont vite levées et la magie de cette magnifique mise en scène nous entraîne dans un véritable tourbillon qui nous plonge dans un univers onirique, féerique, plein de poésie.

Dès la première scène, Tamino, dans un grand lit princier, rêve à l’apparition d’un monstre vite terrassé par les trois dames. Un lit qui réapparaît comme dans un songe lors de la scène finale avec un jeune garçon, un petit Tamino, peut-être sa descendance, qui écoute émerveillé cette belle histoire que lui raconte Zarastro avant de dormir. Tout cela n’est-il donc qu’un rêve ? Un joli conte philosophique à raconter aux enfants ?

Ce spectacle en français, qui défrise sans doute quelques puristes et qui surprend un peu nos oreilles de mélomanes « formatés », est comme un retour aux sources. Comme le souhaitait Mozart lors de sa création dans un théâtre populaire de Vienne il s’adresse à tous, dans la langue de chacun, aussi bien aux enfants qu’aux philosophes. Cette option rejoint celle de Bergman dans son magnifique film-opéra qui parlera aux amateurs d’un certain âge, interprété en suédois pour la télévision suédoise et qui connût un succès mondial. Une initiative salutaire qui a contribué à ouvrir les portes de l’opéra au plus grand nombre à l’instar de cette Flûte avignonnaise.

La mise en scène est débordante d’inventivité, limpide, lumineuse, aérienne comme la musique de Mozart. Un groupe de cinq circassiens virevolte avec élégance, soutient l’action par des arabesques bondissantes. Tour à tour acrobates, funambules, marionnettes, décors vivants, ils illustrent à merveille les différentes situations, soulignent tantôt les aspects comiques ou poétiques, tantôt la profondeur du message philosophique de Mozart.

Les chœurs, en tenues de concert, sagement rangés dans la fosse de part et d’autre de l’orchestre, ne prennent pas part à l’action. Ici point de mouvements de foule, de piétinements sur scène qui pourraient interrompre ce rêve poétique qui se déroule avec fluidité sous nos yeux émerveillés.

Les moments clés de l’opéra, les deux apparitions de la Reine de la Nuit, sont traités avec maestria : créature mystérieuse et onirique, elle apparaît, pour confier sa mission à Tamino, dans un miroir qui a tout du miroir inquiétant et maléfique de Blanche Neige. Dans le second air, harpie avide de vengeance, vaincue, elle est engloutie dans une immense toile arachnéenne vers les ténèbres de la nuit.

On retiendra également l’irruption magistrale de Zarastro de son temple livresque de la sagesse et de la connaissance ainsi que la tentative de pendaison de Papageno à un arbre plein de compassion formé d’une pyramide humaine, ou encore cette Papagena qui anime son double fané au travers d’une marionnette bossue pleine de vie.

Les décors, les costumes et les éclairages, particulièrement recherchés, nous plongent dans un monde féerique et enchanté au travers de magnifiques tableaux. Les livres du Savoir, symboles du Temple de Zarastro qui a tout d’une imposante bibliothèque, s’ouvrent et se referment, font apparaître ou disparaître les personnages comme par magie.

Un tel visuel exigeait une distribution à la hauteur. C’est bien le cas ici avec des interprètes qui, tant par leur âge, leur voix et leur talent d’acteur, répondent tous aux exigences de leur rôle.

Mathias Vidal, avec une voix claire et nuancée et une grande présence sur scène, incarne un Tamino courageux, avide d’amour et de connaissance. Il forme un couple plein de fraîcheur avec Florie Valiquette qui offre sa voix limpide et souple à une Pamina amoureuse, pleine de candeur, ravissante dans sa courte jupette à cerceaux. Issue par sa mère du Royaume de la Nuit, elle porte en elle toute la lumière à laquelle elle est destinée.

Dans un autre registre, un peu plus prosaïque mais combien humain, Marc Scoffoni apporte ses talents de chanteur et d’acteur à un Papageno plein de verve et amoureux de la vie. Une vie terre-à-terre, désolante par l’absence d’amour, mais qui s’illumine vite par la découverte d’une Papagena malicieuse et pleine de fraîcheur incarnée par Pauline Feracci.

Le rôle de la Reine de la Nuit, fort d’une remarquable mise en scène, est confié ce soir-là à Lisa Mostin qui remplace au pied-levé, pour ne pas dire en catastrophe, Chantal Santon-Jeffery. La performance et l’appropriation du rôle sont remarquables. Nous retrouvons alors un peu mieux nos références du fait que les airs sont chantés en allemand pour des raisons évidentes de timing et nous touchons là au plus haut niveau. La voix est ferme, aisée, précise, les vocalises sont déliées. Lisa Mostin se joue des difficultés du rôle, tout semble naturel et l’émotion est là.

Zarastro est interprété par Tomislav Lavoie qui sait transmettre la sagesse et la noblesse du personnage. Sa belle voix de basse paraît toutefois rencontrer quelques difficultés dans les redoutables notes basses du rôle. Olivier Trommenschlager apporte sa voix expressive et ses talents d’acteur à Monostatos, ce méchant plutôt primaire et victime de lui-même qui inspire toujours un peu de pitié.

Les autres rôles sont toujours d’un très bon niveau. On retiendra les apparitions plaisantes des trois dames, quasiment statufiées et déambulant à petits pas dans d’étranges robes corsetées bardées d’immenses spirales, peut-être symboles de l’anéantissement annoncé du Royaume de la Nuit. On peut regretter que les rôles des trois enfants aient été confiés à des femmes plutôt qu’à des jeunes garçons, ce qui eut été opportun aussi bien sur le plan musical que pour rester fidèle à l’intention affichée ici de produire un spectacle destiné aussi aux enfants.

L’ensemble est porté par la forte personnalité d’Hervé Niquet, privé ici de son « Concert Spirituel », ardent défenseur du répertoire français et par là même de cette « francisation » du texte. Il apporte toute sa connaissance de la musique baroque à l’Orchestre Régional Avignon-Provence et au Chœur de l’Opéra Grand Avignon et délivre une partition limpide et précise dans un judicieux équilibre qui met les voix en valeur.

Le public, émerveillé, constamment tenu en haleine par tant de créativité et surpris par cette redécouverte de la Flûte, réserve un triomphe à ce beau cadeau de Noël offert au public avignonnais. Un spectacle à ne pas rater qui sera repris en janvier à l’Opéra royal du Château de Versailles sous les ors duquel il devrait encore gagner en magnificence.

Jean-Louis Blanc

Prochaines dates :
Opéra Royal du Château de Versailles, du 10 au 14 janvier 2020.

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