CRITIQUE. SOTHIK – texte de Marie Desplechin et Sothik Hok – édition l’école des loisirs 2016 – adaptation scénique et conception : Olivia Kryger – à L’Espace 1789, Saint-Ouen, le 17 décembre 2019.
1969. Un petit village à quelques kilomètres de Phnom Penh, sur le bord du Mékong. Là, vit, heureuse, la famille de Sothick. Jusqu’à la chute de Norodom Sihanouk et l’irruption du peuple de la forêt: les khmers rouges. Tour à tour Siothik, sa mère, le musicien vont livrer le récit de ces années terribles où Siothick a été séparé de ses parents, et élevé à part. Le son, en live sur des bols de cantine ou astucieusement géré du decor même, enveloppe le recit presque sans rupture.
Le drame absolu de la prise de pouvoir de Pol Pot, l’assassinat de millions de Cambodgiens, est racontée par les mots de l’enfance, une enfance vivant dans un univers clos, loin du monde et de la politique. Les mots sont clairs, frais, précis, traversés par l’incongruité et la naïveté de la jeunesse, et la sagesse tempérante d’une voix maternelle : étonnante Claudie Decultis, toute douceur et finesse, rayonnant d’une subtile sagesse asiatique. Sothick joué par Olivia Kruger s’approprie les mots de Marie Desplechin, et incarne de façon fine et tendre ce petit garçon, révolté puis endoctriné, séparé de lui-même puis rendu à la vie par le départ des khmers rouges.
Donc ils racontent avec très peu de poses, dans un récit coulant comme le Mékong, la faim, la séparation, la peur, la révolte. Les interdictions démentes, le collectivisme poussé à l’absurde, la survie, la débrouille, la mort des autres. La guerre, la dictature, le totalitarisme et la persécution de tout un peuple, vu de l’autre côté de la lorgnette, pas celle de la grande histoire mais celle plus fine et plus juste faite avec les mots de ceux qui l’ont vécue.
Alors remonte à la surface toute l’absurdité des dictatures, des totalitarismes, des décisions unilatérales prises dans une ignorance crasse et imposées à un peuple soumis, les 20 Millions de morts chinois causés par la chasse aux oiseaux dans les campagnes, provoquant une famine sans précédent.
Le hijab imposé d’un seul coup à une population entière d’iraniennes, les camps d’extermination en Europe, et en Russie. Où on tuait les tziganes les juifs les communistes les résistants ou les intellectuels… Les peuples désarmés, empêchés de penser, tentant à peine de survivre, massacrés lorsqu’ils relèvent la tête. Il faut croire qu’il existe des recettes pour contraindre les peuples, pour opprimer si facilement toute une population. Qu’il soit rouge brun ou noir, le totalitarisme peut toujours finir par toquer à la porte. Toc toc toc…en combien de temps bascule t’on dans la peur ? Comment se prevaloir d’un dogme intrusif et fachiste ?
En 1975 je passais mon bac et fêtais la mort de Franco, la plupart de mes amis étaient à gauche, Foucault et Jean Paul Sartre soutenaient Khomeny. BHL et pleins d’autres, brandissaient le petit livre rouge. Pol Pot et ses copains avaient étudié à la Sorbonne…
Qui peut à l’heure actuelle nous protéger contre les dérives de la pensée et le totalitarisme ? Comment penser par soi-même sans jamais permettre à quiconque de vous dicter une opinion, sans céder à la facilité du troupeau ou aux travers de la pensée unique ?
Ce sont toutes ces interrogations que pose ce recit de façon ludique et sensible. Un spectacle pour tous, sur des sujets crutiaux. Pour adultes et enfants à partir de 11 ans. Simple, vivifiant, Excellent.
Claire Denieul
—