CRITIQUE. «Crash Park» de Philippe Quesne – Au théâtre de Vidy-Lausanne du 11 au 14 décembre 2019.
Ça démarre bien. La scène est obscure. Une mélopée sort d’un piano mécanique. Durant l’installation du public, deux écrans sont visibles, révélant l’intérieur d’un avion et ses passagers. Ceux-ci ne se parlent pas, ils boivent et mangent, lisent (Tintin ou Godard), puis se masquent d’un cache-yeux et s’endorment. L’équipage goûte des huîtres en riant.
Surgissent alors des personnages en combinaisons blanches transportant une maquette d’avion clignotante et cernée de fumée tout autour de la salle. Le volume de la musique augmente, l’ambiance tourne au drame. Les écrans s’éteignent. De fortes lumières tourbillonnent sur le public. Le rideau s’ouvre. Un incroyable décor est dévoilé.
Dans la pénombre, la carcasse de l’avion crashé gît à jardin. Le sol est recouvert d’une eau frémissante: il pleut.
Personnage principal de la pièce, l’île trône à cour dressée sur un socle circulaire tournant, avec ses imitations de palmiers et ses roches grège.
Les rescapés, s’extirpant de l’épave, bien que blessés, ne sont nullement choqués et se congratulent de s’en être sortis. Huit personnes que l’on n’entendra pas communiquer entre elles, si ce n’est lorsqu’ils se présentent mutuellement. Huit comédiens totalement investis physiquement. Leurs voix s’entendent lorsqu’ils chantent ou qu’ils crient, pas de dialogues, aucun conflit, aucune interaction intime. Le groupe entier comme seul acteur.
C’est la musique de Pierre Desprats qui insuffle l’atmosphère avec des extraits de bande-son de Jacob Shea & Jasha Klebe, de l’électro de Pan Sonic, du Debussy ou encore quelques prestations vocales lyriques ou pop en direct. C’est aussi la lumière, remarquable, dirigée de main de maîtres par Thomas Laigle et Michaël Nodin.
Tout tragique est gommé, si ce n’est pour en faire du burlesque: l’éruption du volcan est acclamée comme un feu d’artifice, le monstre surgi des profondeurs ne provoque qu’une courte panique avant d’être assommé, caressé, porté en triomphe et dégusté. Une grotte est transformée en discothèque où les naufragés se saoulent aux cocktails de noix de coco. Ils produisent à tour de rôle des chorégraphies grotesques applaudies frénétiquement par leurs compagnons. Réalisme ou absurdité?
Grosse interrogation au sortir de ce spectacle. Un simple divertissement tel un épisode de télé-réalité insipide? Une caricature de notre société avide d’amusement? Un avertissement face au proche effondrement de la planète? Un cynique miroir de notre légèreté? Tout cela à la fois sur un tableau qui semble un peu vain.
Quelle que soit la métaphore, je me demande si les nombreux adolescents présents lors de cette représentation y ont perçu un second degré, s’il y a de quoi réfléchir à la matière de cette création. Les choix du metteur en scène sont connus, il peint des microcosmes utopiques. Cependant, cette si intéressante scénographie, ce décor mirobolant, n’auraient-ils pas mérité des actions moins superficielles? Le tragique rendu anecdotique constitue-t-il une dramaturgie suffisante?
Attention spoiler! Au final, l’ìle se mue en vaisseau spatial et c’est le crooner Sinatra, nonchalamment, qui l’envoie dans la lune. Une solution imaginaire des futurs possibles…
Culturieuse,
à Lausanne
Photo Martin Argyroglo