CRITIQUE. « Ex Anima » – Conception, Scénographie et Mise en Scène : Bartabas – Théâtre équestre Zingaro – Le liberté – Scène Nationale de Toulon. Plage du Mourillon sous chapiteau. Jusqu’au au dimanche 15 décembre 2019. Les mardis, vendredis et samedis à 20h30 et les mercredis et dimanches à 18h30.
En tournée depuis 2018, Bartabas et son théâtre équestre parviennent une fois de plus à étonner et à enchanter comme aux premières heures où, rugissant et galopant tel un centaure dans les rues d’Avignon, Bartabas offrait ses créations au public avignonnais du Festival Off. Loin de rugir et de vociférer, l’artiste, en s’affinant au fil des ans, a su se réinventer et comme un bon cru, proposer maintenant le meilleur de lui-même et une vision épurée de son Art.
C’est cette fois sur les plages toulonnaises que le Théâtre équestre Zingaro plante son aire de jeu, toujours sous son chapiteau circulaire, accueillant le public avant le spectacle sous une grande tente pour un moment de convivialité, un prélude au cours duquel on peut se restaurer et revivre l’histoire mythique de Zingaro. L’heure approche et Bartabas soigne sa mise en scène en faisant entrer le public dans une quasi pénombre et dans un silence religieux. Le spectacle peut alors commencer !
Les habitués comprennent vite que ce spectacle sera différent cette fois-ci. Par petites touches, légères et délicates, l’homme s’est ici effacé laissant place nette aux chevaux. Ce sont eux les comédiens, si troublants dans la justesse que le public ne peut savoir ce qui est jeu et ce qui spontané. Par une suite de scénettes tour à tour chargées de poésie, de tendresse ou de sauvagerie, invitant tantôt des colombes tantôt des loups sur la piste, Bartabas dresse un portrait équestre aux nombreuses facettes, comme une esquisse de la vie.
Les quelques humains sur scène, comme transparents, ne sont là que pour valoriser la famille des équidés allant du noble étalon jusqu’au petit âne blanc en passant par de puissants et magnifiques chevaux de trait. Bartabas, par son épure, atteint le sommet de son Art en proposant « seulement » de contempler comme une évidence la beauté et l’élégance naturelle de l’Animal. Sur des sonorités mondialistes jouées en live, le théâtre équestre estompe, au delà de l’homme et des chevaux, la notion même de frontières terrestres.
A l’origine de ce spectacle, Bartabas parle de souffle, celui des chevaux, celui inspiré par les instruments de musique et le souffle vital de la vie. Ce qui frappe peut-être le plus, c’est cette impression de miroir qu’offre le souffle des chevaux et celui inaudible mais bien présent des humains sur scène et par là même celui de Bartabas, rendant ainsi hommage aux chevaux et plongeant avec nous dans ce qui nous rapproche le plus d’eux, notre animalité.
Une annonce demande en début de spectacle au public de ne pas applaudir avant la fin pour ne pas effrayer les chevaux mais il devient vite évident au fil des minutes que personne n’a envie de briser ces instants de pure poésie où chacun, tout comme Bartabas, tente de respirer au rythme des chevaux.
Bartabas et son théâtre équestre arrivent une fois de plus à créer l’inconnu et à démontrer l’invisible avec toujours moins de moyens mais toujours plus de talent. Un spectacle immanquable !
Pierre Salles