MAGAZINE. BACON EN TOUTES LETTRES – Centre Georges Pompidou – Jusqu’au 20 janvier 2020.
L’exposition met en relation six ouvrages poétiques, littéraires, philosophiques, extraits de la bibliothèque de Francis Bacon avec les peintures qu’il a produites de 1971 jusqu’à 1992 date de sa mort. « Bacon en toutes lettres » est conçue à l’aune de ses influences littéraires, dessinant un univers poétique commun qui résume le sentiment du tragique.
Ce qui frappe d’entrée, c’est l’exposition d’immenses triptyques ainsi que l’impression d’une peinture « exotique » empreinte de morbidité par ces aplats de couleurs. Couleurs improbables laissées au hasard et déterminantes dans le processus créatif -confiant dans la peinture de faire naître des formes inattendues. On peut être terrifié !
Les figures tourmentées de Francis Bacon agitent sans fin nos interrogations sur la peinture. S’agit-il d’une technique à la limite de l’espace, corps chauffés jusqu’à l’incandescence, qui pousse notre sensibilité à un degré le plus intense ? Qui emprisonne des corps que les alchimistes cherchaient à créer, sortes d’homoncules gémissants ? Ces formes sculpturales, tendues à l’extrême ne créent-elles pas une impression de menace et d’angoisse hystériques ? Faut-il, pour s’en convaincre, observer le triptyque 1967 inspiré de ses lectures, là, de T.S. Eliot qui est « d’un réalisme désabusé » trois moments : naissance, copulation et mort ?
Mais alors, que dire de « Water from a Running Tap » où, sur une surface de toile écrue, le sujet se voit réduit à l’essentiel : l’écoulement d’un filet d’eau… ? Image claire et synthétique visant à exprimer l’impermanence, la versatilité, la précarité, le flux : « Voilà ce que j’ai toujours voulu faire ». Économie de moyens. La main s’efface.
Face à ce que Bacon met en œuvre c’est à dire la fragilité, la ductilité du vivant nous pourrions dire que pour Bacon, tout le psychisme est incorporé dans la peinture ! Bacon s’en défend : « je veux donner à mon art la forme immaculée, une forme sans tache pour dire l’impureté consubstantielle à la vie, pour dire le vice et la culpabilité ».
Pétri de littérature, ses œuvres exposées font référence, au delà de possibles emprunts narratifs, à Eschyle, G. Bataille, T.S. Eliot, J. Conrad, Nietzsche et combien d’autres …qui éclairent, accidentellement, la relation de sa peinture avec la littérature.
En fait, l’exposition : BACON EN TOUTES LETTRES, vous propose, cheminant parmi les six triptyques et autres portraits » La Lecture » la plus éclairante, la plus impliquante de la part du peintre lui même – elles disent : » Je les ai déjà vues un jour sur une image, ces Harpies ravissant le repas de Phinée » « Pris de passion pour l’Orestie d’Eschyle m’a conduit à lire La Naissance de la tragédie de Nietzsche » « Retenu le style fragmentaire, kaléidoscopique de T.S. Eliot » « Approprié l’ouvrage de Michel Leris, son ouvrage » Miroir de la tauromachie », cette métaphore du jeu entre le projet » géométrique » de la danse imposée à l’animal et sa force brutale » « Fasciné par ce visage d’ivoire se peindre l’orgueil sombre, le pouvoir implacable, la terreur abjecte – le désespoir intense et absolu du livre » Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad » « Reconnu dans la philosophie de George Bataille un matérialisme radical qu’il partage et dans la continuité des principes d’Eros et de Thanatos, – y compris la culpabilité du peintre, sa responsabilité dans la mort de son ami George Dryer ».
« Aucune beauté ne serait possible sans qu’intervienne quelque chose d’accidentel« .
Quel talent !
André Michel Pouly