CRITIQUE. « Le Marteau et la Faucille » de Don DeLillo – Adaptation et mise en scène : Julien Gosselin – Interprétation : Joseph Drouet – Les 28, 29 et 30 novembre au CCAM, Vandoeuvre-Les-Nancy – 4, 5 et 6 décembre 2019 au Théâtre Sorano, Toulouse.
Fort de son succès aux derniers Festivals d’Avignon et lors de ses différentes tournées, Julien Gosselin proposait, dans le cadre d’un Printemps des Comédiens à la programmation exigeante, un focus sur ce long monologue d’un texte de l’auteur américain Don DeLillo, déjà interprété par Joseph Drouet, dans sa création du Festival d’Avignon 2018 : « Joueurs, Mao II, Les Noms ». Quelque peu submergé dans le cadre de cette dernière du fait des longueurs de cette pièce, ce texte, d’une tension permanente, retrouve ici toute sa force et sa densité et plonge les spectateurs dans une sorte d’apnée de près d’une heure.
Seul sur scène face caméra, Joseph Drouet devient Jerold Bradway ou Jerry pour ses codétenus, ce voyou en col blanc, interné comme tous les autres dans un camp pour délinquants de la finance internationale. Entre introspection, délire, rémanence d’un faste passé de golden boy, le comédien nous décrit les rouages obscurs d’une finance en roue libre, de dettes privées basculées sur des états sombrant peu à peu dans la banqueroute. Ils sont là, tous les codétenus de Jerry, flanqués d’un survêtement aux couleurs criardes, deux par deux dans des box, errant dans cette prison improbable surmontant l’autoroute de nos vies, seul organe vivant de cet univers froid et fantomatique.
Avec très peu de moyens sur scène, Julien Gosselin parvient à passer avec une impressionnante maîtrise ce texte foisonnant. Pas évident de retenir le propos de bout à bout ou d’en suivre le fil mais l’enjeu n’est pas là. Le réel devient abysse et les spectateurs sont autant subjugués que submergés par ce maelstrom de chiffres mais aussi par la fragilité de ces hommes qui ont tout perdu et qui n’ont plus rien à quoi se rattacher, sinon quelques bribes de souvenirs. Comment ne pas voir en eux des zombies, juste rattachés à la vie par quelques lambeaux d’un reste d’humanité : le souvenir d’une femme, sa beauté, son odeur, des rires d’enfants, une maison. Tout cela ne sera plus jamais.
Comme pour ses derniers spectacles, Julien Gosselin use d’une prise directe sur plateau de son et d’image retransmis en direct sur grand écran. Alors qu’on pouvait reprocher précédemment à ce procédé d’écarter le spectateur du caractère vivant propre au théâtre, il est ici d’une efficacité redoutable, permettant au comédien de se déshumaniser davantage et de pousser encore plus loin ce discours autocritique qui semble destiné seulement à lui-même. Loin de ne mettre le doigt que sur l’absurdité d’un capitalisme hors contrôle, Julien Gosselin met en exergue toute l’absurdité qui conduit ces hommes à se perdre eux-mêmes sans retour en arrière et qui, dans une fulgurance désabusée, regardent un monde qui, dans une apparente maîtrise, continue son chemin vers le chaos.
Pierre Salles
Texte : Don DeLillo
Traduction : Marianne Véron
Adaptation et mise en scène : Julien Gosselin
Avec : Joseph Drouet
Scénographie : Hubert Colas
Création musicale : Guillaume Bachelé, Maxence Vandevelde
Création lumières : Nicolas Joubert
Création vidéo : Pierre Martin
Création sonore : Julien Feryn
Costumes : Caroline Tavernier
Texte publié aux Editions Actes Sud
Prochaines Dates :
– 10 et 11 décembre 2019 / Maison de la Culture de Bourges
– 17 et 18 décembre 2019 / Théâtre d’Arles
– 19 mai 2020 / La Passerelle, Saint-Brieuc
– 27, 28 et 29 mai 2020 / Comédie de l’Est, Colmar
Image : photo Simon Gosselin