CRITIQUE. Christoph Marthaler, « Bekannte Gefühl, gemischter Gesichter » du 21 au 24 novembre 2019 à la Grande Halle de la Villette, dans le cadre du Festival d’Automne.
Dans une grande salle somptueuse, arrivent peu à peu des comédiens emballés et mis sous carton tels des oeuvres d’art fragiles stockées dans les sous-sols d’un musée. Cette image saisissante qui lance le spectacle annonce un moment fort de théâtre, une invitation à nous engouffrer dans les méandres de la mémoire, de ce que fut la Volkbühne.
Christoph Marthaler et sa troupe débarquèrent il y a 25 ans à la Volksbühne de Berlin, dirigée à ce moment-là par Frank Castorf ; une rencontre artistique qui se prolongea dans le temps. L’année où part Castorf, Marthaler crée cette pièce, comme un ultime adieu empreint de nostalgie et d’humour.
Dans un sublime décor dénué mais stylisé signé Anna Viebrock – collaboratrice de longue date de Marthaler-, se déplacent ces fantômes du passé. Une porte d’ascenseur donne sur le vide: un décor aussi élégant et absurde que ses comédiens. Ces comédiens qui firent l’histoire du théâtre, apparaissent sans artifice, sincères et touchants. Les années ont passé, les corps ont également senti passer les années. Avec l’univers qui caractérise bien Christoph Marthaler – burlesque et décalé, les personnages tels des pièces de musée oubliées, occupent l’espace, errent sur scène, à la recherche d’un dernier chant immuable. L’humour absurde et décalé traversé par une sensibilité fine réussit à nous emporter dans ce que fut cette époque Volkbühne.
Des tableaux absurdes et magnifiques se superposent : les comédiens assis sur leur chaise avec leur nom écrit dessus chantant face au mur, des têtes apparaissant à l’embrasure de la porte pour fredonner quelques douces mélodies.
Christoph Marthaler, musicien de formation, qui fit ses premiers pas dans le théâtre par la musique, orchestre un spectacle de qualité, fort et poignant empreint de nostalgie; peu de dialogue, mais des moments poétiques et sensibles d’une extrême beauté et douceur.
Le passage du temps se fait sentir, et dans la dernière partie, le temps également commence à se faire ressentir, avec le rythme qui se délite peu à peu. Mais tel est le propos du spectacle : traiter du temps qui passe. La mémoire ou l’indicible beauté de l’art, un moment rare de théâtre.
Ann Thielle