CRITIQUE. » Tout le monde ne peut pas être orphelin » – Jean-Christophe Meurisse / Les Chiens de Navarre – Le Quai à Angers du 13 au 15 novembre 2019.
» Ah si Françoise Dolto voyait ça ! «
Voilà quelques années que tu n’as pas vu un spectacle des Chiens de Navarre. Tu te souviens de leur apparition tonitruante sur les scènes françaises à la fin des années 2000. Leurs créations étaient pour le moins subversives et ne lésinaient pas sur les moyens : improvisations délirantes à partir de sujets sociétaux, mises en scène grand-guignolesques, comédiens supra-engagés, explosions de nudité, de sexe, de merde et giclements de sang en tout genre. Avec le public nombreux et ravi, tu as ri, souvent jaune, parfois d’un rire forcé, face à cet étalage des travers de nos contemporains. Bref, ça secouait. C’était réjouissant, le chef d’orchestre Jean-Christophe Meurisse n’hésitant pas à appuyer violemment sur les effets dramaturgiques et scénographiques pour le bien de la cause. La recette ne t’était donc pas inconnue.
Cette fois, tu sais qu’il va s’agir de la Famille. Tu t’attends à un massacre en règle.
Le public est convié à s’installer dans un espace bi-frontal tandis que sur la scène évoluent déjà les comédiens dans ce qui semble être la salle à manger-cuisine-salon d’une maison familiale. C’est Noël. Père, mère et enfants accompagnés de leur conjoint bavardent en dégustant la dinde traditionnelle. Tout est très kitch : sapin démesuré, canapé rustique, tentures outrancières, chansons ringardes en fond sonore. L’annonce soudaine par les parents de la vente de la maison va renverser, c’est le moins que tu puisses dire, cette apparente tranquillité. Ce jeu sur le contraste, ajouté au comique de répétition, rythmera l’ensemble des séquences du spectacle : tu comprendras sans effort que derrière la paisible fête de famille, où l’on parle si facilement de la pluie et du beau temps, se cachent d’indéfectibles tensions et traumatismes.
Rien ne sera donc épargné : de la tentative de meurtre du père avec la tronçonneuse offerte par le fils, en passant par les débordements des toilettes provoqués par la bru diarrhéique qui en profite pour annoncer à tous qu’elle est enceinte ou par l’accouchement de la mère et les «progrès» du nouveau-né auxquels la famille ébahie assiste, tout comme le public invité à partager leur joie en recevant la couche maculée ou en observant les régurgitations du lait maternel dégouliner sur le visage des comédiens, jusqu’aux allusions poussives aux tragédies grecques, Médée dévorant en live les testicules de son fils. « Ah si Françoise Dolto voyait ça !», s’exclame un comédien…
Tu espères un répit dans la scène de la toilette par ses deux enfants du père veuf et vieillissant, lequel tente de se souvenir de Richard Gere découvrant Julia Roberts dans son bain moussant (in Pretty woman). La performance d’Olivier Saladin, hélas, n’y fait rien.
Tu es atterré. Non par le propos, mais par les excès de cette mise en scène qu’il faut bien décrire comme incroyablement datée. La parodie, la caricature pour mieux dénoncer : oui, te dis-tu au fil du spectacle en essayant de t’expliquer l’insondable ennui que tu ressens. La vulgarité : non.
Stéphane Leca
Vu le 14 novembre 2019
En tournée :
Du 26 novembre au 7 décembre 2019 à la Grande Halle de la Villette
Du 14 au 15 décembre 2019 au POC Alfortville
Du 18 au 20 décembre 2019 Nouvelle Scène Nationale de Cergy-Pontoise
Du 9 au 18 janvier 2020 à la MC93
Du 21 au 28 janvier 2020 au ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
Du 5 au 6 février 2020 au Manège scène nationale de Maubeuge
Du 11 au 15 février 2020 au Volcan scène nationale du Havre
Du 26 au 27 mai 2020 la Comète scène nationale de Châlons-en-Champagne
Du 2 au 14 juin 2020 au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
Photos Philippe Lebruman