CRITIQUE. « Il y aura la jeunesse d’aimer », une lecture spectacle de textes de Louis Aragon et Elsa Triolet, mise en scène par Didier Bezace, avec Ariane Ascaride et Didier Bezace, jusqu’au 24 novembre du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 16h, au Théâtre Rouge du Lucernaire, Paris.
Les lumières de Léo Thévenon commencent la poésie, et, tendrement, l’éploient. Dorés et crépusculaires, Ariane Ascaride et Didier Bezace sont des passeurs de grâce. Louis Aragon et Elsa Triolet se sont aimés avec, envers et par le verbe, et cette décharge amoureuse n’est pas seulement littérature.
Les deux comédiens ont fait de leurs corps des voix. Celle liquide d’Ariane Ascaride infiltre la rocaille de Didier Bezace, et le roc tremblé de l’âge, coulé dans sa rivière, murmure quelque chose venu des profondeurs. Au bord des yeux d’Elsa s’éteignent les soleils qui voilent ; le « ver vivant » s’agite « au «fond du chrysanthème » ; Bérénice trouve de l’infini dans le fini ; la prose d’Aragon, fragile comme un homme aimant, interroge les « contretemps inventés » ; celle d’Elsa est dure comme une femme aimée. « Rien n’est jamais acquis à l’homme », sinon le palais rose d’Irène et l’illusion vitale de la jeunesse d’aimer.
Hélas, les amours malheureuses se désaltèrent de soupirs. Les orangers neigeaient sans doute quand Aragon supplia Elsa de ne pas fermer les yeux, de demeurer de son côté des paupières. Il n’est âme qui ne se soit déchirée cet après-midi quand il a demandé, hagard, avec la voix rauque et perdue de Didier Bezace : « C’est où sans moi ? ».
Le moment, comme une bougie, s’est consumé, et quand la salle a été rendue à elle-même, elle s’est dressée, soulevée par l’émotion. Les « bravo » ont fusé, entremêlés de « merci » attendris. La beauté a le pouvoir de remuer dans les cœurs une eau dormante qui, ainsi troublée, s’échappe en larmes à demi-sèches. La délicatesse du spectacle de Didier Bezace, l’élégance et la justesse d’Ariane Ascaride, et l’intelligence de composition de ce florilège intime font cette subtile vibration qui prélude l’amour jamais malheureux du théâtre. On s’en va « plein du silence assourdissant d’aimer ».
Marguerite Dornier
Choix des textes et des musiques de Bernard Vasseur et Didier Bezace, avec la collaboration de Dyssia Loubatière à la mise en scène, son et vidéo, et avec les lumières de Léo Thévenon.
Photo Nathalie Hervieux